« Eh bien moi, je préfère mourir avec les Etats-Unis, que de vivre dans un monde dominé par la Chine ». Un confrère avait fini par faire cet aveu au terme de notre interminable débat sur le déclin de l’empire américain et la montée de la Chine.
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Le fond de l’histoire, c’est que chacun se sent un peu américain, mais personne ne se sent un peu chinois. On préfère les hamburgers aux nouilles, le Coca Cola au jus de litchi, le lapin à la moutarde au chien rôti. La perspective de vivre dans un monde dominé par une culture éloignée de la nôtre, dont la langue ne nous sera jamais aussi familière que l’anglais, n’enchante pas grand monde. Cela effraie, même. Alors on espère que la domination américaine durera le plus longtemps possible pour nous épargner ce basculement. La Chine, c’est ce pays où les accrédités aux J.O. n’emportent pas leur smartphone, de peur d’être espionnés. Comme si l’espionnage n’était pas monnaie courante dans nos contrées. On a d’ailleurs la même paranoïa à propos de la Russie, où Macron aurait refusé de se faire tester au Covid « pour ne pas laisser son ADN à Poutine ». Comme si la Russie avait besoin d’un test Covid pour obtenir son ADN.
«L'Occident n'est plus cet eldorado de liberté»
En réalité, pour les dirigeants occidentaux, le modèle autoritaire chinois fascine. Le puissant du moment exerce toujours un effet d’aspiration. L’Occident n’est d’ailleurs plus cet eldorado de liberté qui s’oppose à une Chine répressive avec ses dissidents. Ce narratif datant de la guerre froide contre l’URSS a fait son temps. L’Ouest reste perçu comme un contrepoids démocratique, mais en déclin. La Chine a copié notre capitalisme, on s’est mis à copier son autoritarisme. La persécution de Julian Assange, fondateur de WikiLeaks, détenu depuis 10 ans dans des conditions de torture, celle de l’ex-militaire Chelsea Manning, ou le statut d’éternel fugitif d’Edward Snowden, nous informent sur la manière dont les Etats-Unis et leurs alliés de l’Otan traitent les lanceurs d’alerte qui se risquent à révéler des crimes de guerre et des programmes de surveillance de masse américains et britanniques.
Aux soulèvements à Hong Kong durement réprimés par Pékin répond la répression de conflits sociaux comme celui des Gilets Jaunes en France, répression dont les dérapages violents ont été maintes fois condamnés par Amnesty International. Profiter de la montée du modèle chinois pour adopter des méthodes plus répressives vis-à-vis des populations occidentales arrange les bidons de nos démocraties, car elles sont affaiblies. Un modèle démocratique fort passerait par la redistribution et par la réduction des inégalités en Occident, ce qui réduirait les contestations. Mais comme l’Occident a pris le chemin du creusement des inégalités, les méthodes répressives lui sont d’un commode secours.
TikTok a ringardisé Facebook
Poursuivons cette petite thérapie contre notre ethnocentrisme narcissique. L’Occident n’est plus le cœur de l’économie mondiale, ni la principale locomotive de l’innovation technologique. La Chine détient la plus grande part dans le commerce mondial, étant le premier exportateur de biens devant l’Union européenne et les Etats-Unis. L’Europe est un nain technologique, les Etats-Unis sont au coude à coude avec la Chine et même dépassés par celle-ci dans plusieurs technologies informatiques et militaires et dans les services financiers digitaux. Au niveau des smartphones, Xiaomi a dépassé Apple et Samsung pour la première fois en 2021 pour devenir la marque qui a vendu le plus de smartphones dans l’histoire.
Même si Apple reste très populaire en Europe, Xiaomi a conquis l’Inde, le Sud de l’Asie, l’Afrique. Au niveau des réseaux sociaux, la nouvelle génération des influenceur(euse)s de l’Ouest opère sur TikTok, un réseau chinois qui a ringardisé Facebook et que l’administration Trump a menacé de fermer aux Etats-Unis. Une guerre commerciale dictée par l’insécurité, qu’ont aussi livrée les USA à travers Google, lorsque le géant californien a boycotté Huawei. Washington n’a pas hésité à mêler la politique aux affaires, délivrant des autorisations aux entrerpises voulant faire commerce avec des groupes chinois. Avec un tel interventionnisme de l'État dans l’économie, les USA s’éloignent du régime libéral pour adopter un capitalisme d'État pas si éloigné de la Chine.
C’est pourquoi en termes idéologiques, l’Ouest a cessé de représenter un vrai contrepoids libéral. De plus en plus, nous renonçons à l’économie de marché – trop incontrôlable - pour lui préférer de multiples pratiques monopolistiques, protectionnistes, agrémentées de régimes de sanctions à n’en plus finir, et d’un interventionnisme chronique des banques centrales pour soutenir nos marchés financiers depuis déjà 13 ans.
Les GAFAM et WeChat, même combat
Au niveau de la protection des données, nous sommes tout aussi poreux au Chinese way of life. Les GAFAM, qui sont certes des entreprises privées mais au poids équivalent à des collectivités semi-étatiques, captent nos données d’utilisateurs et orientent nos comportements comme le font WeChat et Alibaba pour les Chinois. On s’offusque du système de crédit social chinois, qui veut noter les citoyens et les entreprises selon leur réputation. Pour l’instant, nous en sommes très loin, mais des pratiques de notation existent chez nous dans le secteur privé, les utilisateurs étant régulièrement amenés à évaluer des services et à être évalués eux-mêmes. Les assureurs sont aussi tentés de calibrer les primes au mérite du client. Le principe du certificat numérique séduit aussi nombre de promoteurs de systèmes d’identification biométrique, en développement rapide. Les robots qu’on critique pour leur terrible froideur dans les restaurants et les bars des Jeux Olympiques en Chine, sont l’horizon technologique dans lequel on investit le plus en Occident, avec l’intelligence artificielle, aussi bien pour l’économie que pour le militaire.
Nos gouvernements, voyant qu’ils peinent à prendre l’avantage sur un système aussi autoritaire que la Chine, sont incités à toujours plus centraliser, travailler par décrets, agir en mode crise ; le fédéralisme européen encombre et fait figure de boulet, là où le Parti communiste chinois agit sommairement et devient synonyme de maîtrise de l’agenda. Par exemple, l’instauration d’une monnaie digitale de banque centrale, une priorité stratégique pour tous les grands pays qui veulent contrer la montée des cryptomonnaies, est déjà une réussite en Chine. Le « e-yuan », concurrent souverain du bitcoin, a été lancé durant les J.O., et déjà un quart de milliard de Chinois ont téléchargé l’app. En Europe, on en est encore à débattre à 27 d’une définition commune de monnaie digitale, et on n’en est pas fier.
Aux USA, l’idée d’un e-dollar fait lentement son chemin, mais le billet vert est pris dans les filets d’un système vétuste d’après-guerre, dont dépend la majorité des transactions illicites sur lesquelles on ferme volontiers les yeux. En termes de puissance économique, le PIB chinois est le plus élevé au monde si on le mesure en parité de pouvoir d’achat. En termes de PIB nominal, ce sont toujours les Etats-Unis qui occupent le premier rang. Mais si on tient compte de l’endettement phénoménal qu’il a fallu aux Etats-Unis pour acheter cette croissance du PIB, la Chine est nettement plus performante, avec trois fois moins de dette et infiniment moins de création monétaire inflationniste.
Bon, un petit thé longjing pour fêter l’année du Tigre?