Pour beaucoup, le Téléthon, c’est, chaque premier week-end de décembre, une sorte de grand cabaret du monde où l’on remplace Patrick Sébastien par Nagui et Sophie Davant, respectivement trublion et pleureuse. Les acrobates, elles et eux, volatilisés, au profit d’une horde de myopathes en fauteuils, placés au premier rang, tout sourire, comme si la vie était une fête. Sous vos applaudissements. Toujours. C’est important.
Eh bien, en Suisse aussi. Même si plus confidentiel, car la RTS dispose d’un contrat d’exclusivité avec La Chaîne du Bonheur, le Téléthon existe. Il prend plus la joyeuse teinte d’un bal de village où les enfants grimpent aux échelles des pompiers, pendant que grand-papa Pierrot brasse la soupe aux pois et que maman vend des peluches. Oui, le Téléthon suisse est surtout connu pour ses peluches d’animaux anthropomorphes. Quand ce n’est pas ses écharpes rouges tout droit sorties des meilleurs stamms socialistes.
«Nous ne sommes pas pro-expérimentation animale»
Mais le Téléthon, et ça, on le sait un peu moins, c’est surtout la fondation qui finance la recherche contre les maladies génétiques rares depuis plus de trente ans. Et je suis atteint d’une de ces 7’000 maladies répertoriées à ce jour. Pourtant, même si j’ai fini par accepter un traitement clinique, fruit de cette recherche, je me suis toujours demandé comment est utilisé l’argent que nous donnons au Téléthon. Spontanément, et puisque j’aime la chose légère, j’ai alors pensé à la problématique épineuse de l’expérimentation animale dans ladite recherche: est-ce que ma santé prime sur la dignité d’un animal? Le débat est tout trouvé.
Autant chercher une aiguille dans une botte de foin, vous savez. Parce que, en 2021, personne, pas même le Téléthon, ne peut se dire «contre» le bien-être des animaux. Et le thème fait jaser. D’ailleurs, lorsque j’interpelle Leena Fasola, coordinatrice nationale de la fondation, le cadre est directement posé: «Tous les changements ou modifications même partiels de nos propos ainsi que la suppression de certaines de tes questions incluant nos réponses doivent nous être soumis avant publication pour relecture et validation.» Aïe. Je crois bien que j’ai fini par trouver l’aiguille.
Alors, après avoir soumis toute la retranscription des propos, sur la question des valeurs animales, la coordinatrice nationale me répond: «Nous ne sommes pas pro-expérimentation animale. Le Téléthon suisse soutient une fondation suisse de recherche [la Fondation suisse de Recherche sur les Maladies Musculaires (FSRMM), ndlr.] qui décerne des bourses à des doctorants travaillant dans le domaine des maladies musculaires, dont les myopathies, touchant les enfants et les adultes, dans les universités suisses. La majorité de ces bourses ne sont pas concernées par l’expérimentation animale.» En parallèle, la fondation indique sur son site Internet que «seuls» des souris, des vers et des poissons sont utilisés dans les recherches qu’ils financent. Toutefois, selon des sources proches du département de formation et recherche du CHUV, on affirme qu’il est maintenant possible de créer des mini organismes humains, tout à fait fonctionnels, à base de cultures cellulaires. Mais, comme pour toute nouvelle chose, il faut y mettre le budget.
Être payé en monnaie de singe
Du côté de la Ligue suisse contre l’expérimentation animale et pour les droits des animaux (LSCV), on pense que la cause du Téléthon est particulière et louable, mais que la «majorité» prétendue est une monnaie de singe. «C’est une hypocrisie crasse du système universitaire, prétend Luc Fournier, président de la LSCV. En effet, plus une université édite des publications de recherches, plus elle obtiendra de financement pour ces mêmes recherches. Avec ou sans résultats concrets. Quand vous vous retrouvez face à un mur comme celui-ci, ne serait-ce que pour se garantir un salaire, vous n'êtes pas tenté de chercher des alternatives novatrices. Depuis environ deux ans, les universités sont les principales responsables de l'expérimentation animale dans le pays.»
En 2020, pourtant, le nombre total d’animaux ayant fait l’objet d’expériences a diminué – il a reculé d’environ 18% depuis 2015, selon l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV). En marge de cela, il est utile de rappeler que la législation sur la protection des animaux en Suisse est une des plus cadrées du monde. Toujours selon celle-ci: «Les expériences sur les animaux ne sont admises que si aucune alternative n’est possible».
Comment faire autrement?
Reste à savoir alors si, dans le cadre de la recherche financée par le Téléthon, aucune autre alternative n’est possible à l'expérimentation sur les animaux. «Les chercheurs y recourent par nécessité légale, après avoir apporté la preuve que les méthodes alternatives dont on parle ne permettraient pas de parvenir à ces résultats, explique Leena Fasola». Interpellée sur cette même question, la FSRMM (dont le président d'honneur est aussi celui du Téléthon) confirme avoir récemment soutenu des projets qui utilisaient des modèles alternatifs, comme la création d’un modèle musculaire tridimensionnel à partir de cellules vivantes. Elle rappelle cependant que la «dernière étape», qui consiste à tester l’efficacité d’un médicament, doit être réalisée à l’aide de modèles animaux, car il n’est pas possible de la tester directement sur les humaines et humains.
Bon, alors, est-ce qu'il faut malgré tout continuer à soutenir le Téléthon? Le défenseur des animaux, Luc Fournier, est catégorique: «Il ne faut pas oublier que le Téléthon soutient aussi, avec la moitié de son budget, l’aide sociale aux familles et aux malades. Tout n’est pas mauvais dans cette organisation. Il faudrait juste investir plutôt l'argent destiné à la recherche dans la mise en place d’alternatives.» À Yverdon, dans les bureaux nationaux du Téléthon, on se réjouit d’ailleurs d’être passé de la recherche fondamentale à la recherche clinique, ce qui permet de proposer désormais des thérapies pour certaines maladies. La FSRMM rassure également: «Le sujet de l’expérimentation animale a régulièrement été traité par notre fondation. Ce thème sera d’ailleurs abordé lors d’un séminaire que nous tiendrons début décembre, dans le canton de Berne».
On l’aura compris, l’expérimentation animale est un sujet sensible, complexe et d'actualité. D'autant plus que, le 13 février 2022, le peuple suisse sera amené à se prononcer sur l'initiative dite «pour l’interdiction de l’expérimentation animale et humaine». Interrogé sur la question, le Téléthon explique qu'il ne pourra prendre part à ce débat, étant un organisme apolitique. Ici, chez Blick, on ne manquera pas de vous en reparler; on ne pose jamais de lapin.