Je vous parle régulièrement de mes auxiliaires de vie. Elles et eux, ce sont les «petites mains» qui, chaque jour, me permettent de garder une vie autonome et autodéterminée. Alors, dans une prochaine chronique, je vous présenterai ce métier contemporain qui n’existe que depuis dix ans.
Aujourd’hui, ce qui nous intéresse, c’est la façon dont elles et ils sont rémunérés. «Mais, en fait, c’est un peu comme dans Intouchables», me lancent souvent les gens, lorsque je leur explique le concept nécessaire à ma vie à domicile. Ouais. Mais non. Désolé, ce n’est pas exactement comme dans Intouchables. Philippe, le protagoniste du film, et moi, d’abord, nous n’avons pas le même porte-monnaie. Ni même la voiture. Ni même la maison. Ni même l’histoire.
Un maintien à domicile chronophage
Moi, prolo, pendulaire, de classe moyenne, au handicap congénital, le paiement des salaires de mes employés, je le dois grâce à l’assurance invalidité (AI). Depuis 2012, et après dix ans de combat mené par des personnes en situation de handicap, l’État a accepté de financer la vie à domicile, bien conscient que, selon plusieurs études, cette dernière coûte moins chère que celle en institution. Résultat, après cinq ans en projet pilote, la Contribution d’assistance de l’AI est née.
Le budget annuel alloué par l’AI à ses bénéficiaires dépend de plusieurs critères: le niveau d’autonomie dans les actes ordinaires du quotidien (aller aux toilettes, boire, manger…), les perspectives de vie à domicile (ménage en solo ou en famille/en couple) et, enfin, de savoir si la personne est apte à «s’autoreprésenter» – c’est-à-dire qu’elle n’est pas sous curatelle. Si les critères sont remplis, l’assurance engage alors un calcul du nombre de francs alloué mensuellement, puis annuellement, selon le degrés de dépendance qu’elle aura elle-même estimé sur base d’un formulaire de vingt-et-une pages rempli par la ou le bénéficiaire. Bien compliqué tout ça.
Une procédure tellement chronophage qu’elle pousse certaines personnes à renoncer à leurs droits et à la vie à domicile, contrairement à ce que prévoit l’article 19 de la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées (CDPH). Convention ratifiée le 13 décembre 2006, à laquelle la Suisse adhère.
Après toute cette bureaucratie, l’AI accepte finalement de m’octroyer une masse salariale de CHF 118’195,80.- par an et donc de CHF 9’849,65.- par mois, à mon personnel. Déductions légales faites aux caisses AVS, les auxiliaires seront donc payés CHF 25.- net de l’heure. Une contribution allouée qui ne prévoit pas une assistance continue sur 24 heures (mais 16), qui m’est versée uniquement sur facturation et preuves contractuelles et ne m’autorise pas à engager mes proches ou la personne qui partage ma vie sous le même toit.
Une initiative populaire pour améliorer la prestation?
Ces injustices sont venues écoeurer Tatkraft, association zurichoise de personnes concernées, qui, ce 15 septembre, est allée présenter son «Initiative pour l’inclusion», dont la campagne démarrera au plus tard dans un an. Pour Luana Schena, co-initiatrice du projet: «Le but est que l’État propose une réforme totale de la Contribution d’assistance, avec une prise en compte des besoins techniques et personnels. Nous souhaitons plus d’heures d’assistance, afin que celle-ci reflète davantage la réalité des assurés».
À gauche de l’échiquier politique, le projet «coule de source» pour Nicolas Morel, membre en situation de handicap du Parti socialiste vaudois: «Evidemment, il ne faut pas opposer les combats. Mais, pour l’instant, les priorités politiques en Suisse ne sont pas dirigées vers le handicap. Il me semble donc très bien de proposer quelque chose de fédéral à propos de l'autodétermination des personnes avec handicap.»
Du côté de l’UDC, Patrizia Mori, conseillère communale lausannoise également en situation de handicap nuance: «Nous ne devons pas oublier que l’AI doit faire des économies. Il y a eu trop d’abus. Je ne vois pas pourquoi on essayerait pas d’atteindre un 24 heures d’assistance au moyen du bénévolat par exemple. Mais, plus de budget pour la vie à domicile d’un public défini, évidemment je suis pour. C’est du cas par cas, ça doit rester un droit et non un devoir.»
Un projet plus «holistique»
Sur la Place fédérale, ce mercredi matin, les initiantes et initiants du projet préviennent que le texte de l’initiative est «encore en cours d’écriture». Selon Luana Schena, le but est avant tout de présenter un projet plus «holistique» pour toutes et tous. Toutefois, l’adjectif fait grincer des dents du côté des associations militantes.«L’holisme, attention, car c’est une véritable peau de banane, prévient Anne-Catherine Reymond, coordinatrice de l’association vaudoise Cap-Contact, à l’origine du projet de la Contribution d’assistance.
En effet, on doit se souvenir que le combat mené par les personnes en situation de handicap il y a vingt ans fût de demander une véritable autonomie dans le choix de son personnel. Il sera intéressant de voir le texte proposé par le Comité.»
Parallèlement à cela, Blick apprend aujourd'hui que, selon plusieurs sources proches de l’AI, l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) aurait récemment donné un préavis positif à une augmentation de CHF 68.- au forfait nocturne des auxiliaires de vie. Leur salaire forfaitaire est actuellement fixé à CHF 89.- la nuit, soit environ à CHF 14,30.- de l’heure. Cette modification entrerait en vigueur le 1er janvier 2022, en même temps que la sixième révision de l’AI proposée par l’OFAS depuis 2011.
Reste à savoir désormais quelles seront les autres revendications de l’«Initiative pour l’inclusion». Le Comité se donne jusqu’au 15 septembre 2022, journée internationale de la démocratie, pour finaliser son projet. En attendant, moi, je vous laisse. J’ai des auxiliaires de vie à embaucher. On en parle la semaine prochaine? Allez, salut.