Jamais mieux servi que par soi-même #10
Écriture inclusive [n.f.]: langage ayant pour but d’inclure… mais qui?

Le journaliste Malick Reinhard déconstruit les clichés qui lui collent à la peau et pointe docilement du doigt la maladresse des «valides» face au handicap. Cette semaine, il parle d’écriture «inclusive» et de ses effets sur les personnes atteintes de handicap visuel.
Publié: 07.08.2021 à 14:49 heures
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Dernière mise à jour: 09.08.2021 à 09:44 heures
Photo: Thomas Meier
Malick Reinhard

«Bonjour à tous·te·x·s. C’est un plaisir de recevoir ceux·lle·x·s qui me lisent chaque semaine et vous êtes toujours les bienvenu·e·x·s dans le monde un peu étrange de cette chronique qui vient donner la parole aux handicapé·e·x·s de notre société. Parce que, finalement, ils/elles/iel sont né·e·x·s comme nous et jouissent des mêmes droits et devoirs. Ce sont des citoyen·ne·x·s qui doivent être inclu·e·x·s, normalement». Je m’arrête là? Je m’arrête là.

Le texte, tout à fait simplet, que vous venez de lire ici est un écrit que l’on aime qualifier aujourd'hui «d’inclusif». Inclusif, d’accord. Mais inclusif pour qui, d’abord? Parce que, même si je soutiens fermement cette démarche, il faut reconnaître que, hormis l’inclusion de genre, qu’il soit féminin, masculin ou neutre, cette tirade contemporaine n’est pas tout à fait accessible à une personne atteinte de trouble dys (dyslexie, dysorthographie…), de déficience visuelle, ou qui nécessite simplement l’aide d’une voix de synthèse pour lire. En effet, les liseuses, par exemple, comme nous, sont encore incapables de verbaliser les contractions de mots, telles que « handicapé·e·x·s» ou «citoyen·ne·x·s».

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1 Suisse sur 5 est en situation de handicap

Aïe. Le progrès des uns – des un·e·x·s (?) –, ferait-il la rétrogression des autres? Désormais, l’écriture inclusive, composée du point médian, handicape davantage toute une frange de la population. Si l’on s’intéresse au total des personnes atteintes de handicaps au sens médical du terme, cela représente un peu plus de 20% des Suisses. Soit environ 1’769’000 personnes, selon la dernière estimation de l’Office fédéral de la statistique (OFS). Un chiffre non négligeable.

Mais alors, c’est comment qu’on fait pour être féministe et en situation de handicap? Est-il possible de rendre l'écriture inclusive accessible? Pour obtenir des éléments de réponse, je suis parti à la rencontre de Céline Witschard, spécialiste en information et communication accessibles et ancienne journaliste. C'est entre deux conférences et une semaine de marche dans le Valais qu’elle me reçoit.

Des petits points, des petits points (encore des petits points)

Si Céline accepte de s’exprimer sur le sujet, c’est notamment parce que, vivant elle-même avec une déficience visuelle, l’écriture inclusive truffée de points médians lui pose maintenant problème. «Cet usage m’inquiète grandement, parce que le handicap et le féminisme sont deux formes de militantismes qui ne se croisent pas beaucoup. Désormais, les questions de non-discrimination de genre s’installent, au détriment du handicap, alors que ces deux causes devraient collaborer davantage», regrette la Genevoise. Toutefois, cette coopération, viatique d’une inclusion totale, ne semble pas chose aisée, prévient-elle encore. Elle se réjouit cependant qu'une jeune génération s’applique désormais à visibiliser la cause du handicap féministe.

Malick Reinhard: validisme, une infirmité qui touche les personnes valides

Mais, très vite, Céline Witschard est catégorique: l’écriture inclusive et accessible n’est pas impossible. Au contraire: «Il existe de nombreuses autres façons d’écrire de façon inclusive. Je pense, par exemple, au langage neutre, à la féminisation des mots ou à l’usage des doublets, comme mesdames et messieurs, au lieu de tous·te·x·s». De son côté, le collectif vaudois Ecriture-inclusive.ch confirme que le langage épicène ne consiste pas simplement à ajouter des terminaisons féminines à la fin de chaque mot et n’est pas une méthode qui aboutit à systématiquement alourdir les formulations et à les rendre difficilement compréhensibles.

Sensibiliser les médias et les pouvoirs publics

À Genève, l’ancienne journaliste, tente, avec son projet Vision Positive, de mettre en pratique les bons conseils en matière d’accessibilité à l’information, sans pour autant mettre au rebut l’écriture inclusive. «Avec l’association féministe Décadrée, nous donnons depuis février 2021, des formations qui ont pour but de former les entreprises au langage inclusif et accessible, tant à l’écrit qu’à l’oral. Nous encourageons les médias et les pouvoirs publics à s’intéresser à ce paramètre de l’accessibilité dans l’écriture inclusive», se réjouit l’entrepreneure.

Avec quelques bons conseils d’usages, je peux donc désormais reprendre: «Bonjour tout le monde. C’est un plaisir de vous recevoir chaque semaine et je vous souhaite la bienvenue dans le monde un peu étrange de cette chronique qui vient donner la parole aux personnes en situation de handicap de notre société. Parce que, finalement, elles sont nées comme nous et jouissent des mêmes droits et devoirs. Ce sont des personnes qui doivent être inclues, normalement». À la semaine prochaine!

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