Du D-Day au Bürgenstock
Non, la neutralité suisse de juin 1944 n'était pas une trahison

La commémoration du débarquement allié en Normandie interroge la Suisse et son histoire. Être neutre en 1944, cela avait-il un sens? La réponse est évidemment oui.
Publié: 06.06.2024 à 14:57 heures
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Dernière mise à jour: 06.06.2024 à 15:58 heures
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La neutralité reste au cœur de la vie politique suisse, comme le prouve le lancement d'une nouvelle initiative par l'UDC de Christoph Blocher.
Photo: AFP
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Richard WerlyJournaliste Blick

L’histoire est un juge implacable, à ne pas confondre avec les rituels et les inévitables raccourcis des commémorations. Ce 6 juin 2024, l’heure est logiquement à la célébration de la solidarité et du sacrifice des troupes alliées qui, dès 5h30 du matin le 6 juin 1944, débarquèrent sur les plages de Normandie pour entamer la libération de la France occupée. Un déluge de feu et d’artillerie sur le sol français avait précédé l’assaut de coalition commandée par le Général Dwight Eisenhower. À Saint-Lô, ville de la Manche où Emmanuel Macron s’est rendu hier, le 5 juin pour rendre hommage aux sacrifices de la population française, plus de 13'000 civils périrent sous les bombes alliées.

Havre de paix et de sécurité

Au même moment, durant ces premiers jours de la très meurtrière bataille de Normandie, la Suisse demeurait un havre de paix et de sécurité au milieu de l’Europe en flammes. Choquant? Insupportable à l’aune du déferlement de violence qui, d’ouest en est, ravageait alors le Vieux Continent? Se poser la question est logique, surtout lors de rencontres avec ces vétérans presque centenaires qui virent mourir sur le sable leurs camarades, fauchés par les troupes nazies.

Impossible, également, de ne pas regarder cette inflexible neutralité helvétique qui protégea le pays et sa population durant la Seconde Guerre mondiale, dans le miroir de l’actualité de 2024, avec la guerre en Ukraine et la menace russe en arrière-plan. Peut-on rester neutre 80 ans après le D-Day? Et à quoi cette neutralité sert-elle, alors que la conférence de paix du Bürgenstock, les 15 et 16 juin, sera boycottée par la Russie et (sans doute) par la Chine, sans l’appui de laquelle rien n’est possible?

Réseaux d’évasion alliés

La meilleure des réponses est factuelle. La neutralité de 1940-1945 a préservé la Suisse. Entachée par les liens commerciaux de la Confédération avec le Troisième Reich, elle a aussi, comme l’a bien montré le rapport Bergier au début des années 2000, servi la cause des alliés. En juin 1944, il est acquis que Berne a basculé du côté de la coalition dirigée par les Américains. Plus de 200 bombardiers alliés, touchés par l’artillerie allemande, parviennent à se poser en Suisse et y sont réparés. Les réseaux d’évasion des aviateurs alliés abattus passent par les Alpes. La résistance française utilise Genève comme point d’appui. Allen Dulles, chef de la mission américaine en Helvétie, coordonne les opérations d’infiltration et de renseignement alliées en Allemagne. Le destin futur de la Confédération se joue aussi, le 6 juin 1944, sur les plages sanglantes de Normandie.

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«Simone Veil, invitée en Romandie pour reprendre vie après sa libération d’Auschwitz, ne pardonna jamais aux Suisses leur confort de ces années de sang»
Richard Werly, journaliste Blick
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Écrire cela aujourd’hui, alors que Joe Biden, Charles III, Justin Trudeau mais aussi Volodymyr Zelensky sont à Omaha Beach, est bien sûr facile. À l’époque, et jusqu’à l’opération vérité menée par la Commission d’historiens présidée par Jean-François Bergier, la Suisse fut l’objet d’un réel ressentiment, voire d’une profonde colère. L’ancienne Ministre Simone Veil, invitée en Romandie pour reprendre vie après sa libération du camp d’extermination d’Auschwitz, ne pardonna jamais aux Suisses leur confort de ces années de sang. Les groupes d’enfants européens, dont de nombreux orphelins, accueillis au Caux Palace (VD) par le mouvement du «réarmement moral» du pasteur américain Franck Buchman, sont souvent déboussolés par l’insolente tranquillité helvétique, après avoir vécu tellement d’horreurs.

Pas une trahison, un bouclier

Les Suisses doivent-ils pour autant se sentir coupables de ce passé? La réponse est non. Les États-Unis, ne l’oublions pas, ne sont entrés en guerre qu’après l’attaque de Pearl Harbor du 7 décembre 1941. La neutralité, ensuite, ne s’est jamais mise en travers des opérations militaires alliées. C’est ensuite à Vallorbe, le 26 août 1945, que le Maréchal Pétain est remis à la France libre par les autorités suisses, qui refusent de lui accorder l’asile après son retour de Sigmaringen (Allemagne). La neutralité ne fut pas une trahison à la cause de la liberté. Elle fut un bouclier face à une menace évidente d’invasion territoriale.

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«Défendre la neutralité d’hier ne doit donc pas aboutir, en 2024, à un plaidoyer aveugle et nostalgique pour une neutralité figée dans le passé et ses mythes»
Richard Werly
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80 ans plus tard, à l’heure des missiles à longue portée et de l’arme nucléaire, la donne stratégique n’a plus rien à voir. Idem pour l’intégration économique de la Suisse au sein de l’espace européen. Défendre la neutralité d’hier ne doit donc pas aboutir, en 2024, à un plaidoyer aveugle et nostalgique pour une neutralité figée dans le passé et ses mythes.

Le 6 juin 1944 fait partie de ces dates qui ont changé la face du monde.

Y compris pour la Suisse.

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