«La police a évité une attaque du Palais fédéral.» Ce n’est pas l’intitulé d’un exercice des forces de l’ordre, mais bien ce qui s’est tramé à Berne, jeudi soir. Les barricades et canons à eau ont été les derniers remparts de la démocratie helvétique face à une horde d'individus hostiles.
Comment en est-on arrivé là, dans le pays où a lieu la moitié des scrutins populaires à l’échelle internationale chaque année? Les signes avant-coureurs étaient pourtant nombreux. D’abord ce jeudi, jour normal de Session parlementaire. Pas la peine d’être un crack en informatique ou de se rendre sur le «darknet» pour saisir l’ampleur de la contestation — c'est en clair sur Telegram, où des Sylvie, Arnaud ou encore François appellent à la mobilisation générale, avec des étoiles jaunes «Anti-vaxx» et une rhétorique guerrière. «Il faut montrer que le peuple est capable de se lever en masse!»
Commencé dans une ambiance bon enfant, au son des tambours et des chants «Liberté!», «Dictature!» ou encore «Obligation vaccinale!», le rassemblement a vite dérapé. À mesure que le soleil se couchait sur Berne, la capitale est presque devenue Capitole — toutes proportions gardées —, tant une frange de ce gros millier d'opposants aux mesures anti-Covid s'est montrée hostile et belliqueuse. Ô surprise!
Ces scènes rarement vues en Suisse, sinon en marge des matches de hockey sur glace ou de football, étaient plus que prévisibles. Voilà 320 jours (!) que le grand reporter de Blick Fabian Eberhard écrivait sur Twitter qu’un faisceau d’indices lui faisait craindre la formation d’un vent contestataire qui avait le potentiel d’emporter beaucoup de choses sur son passage — y compris certaines valeurs de la démocratie. Ironie du calendrier, la «NZZ» rapportait jeudi qu’il n’y avait jamais eu autant de référendums que ces derniers mois.
À lire aussi
«Ils se radicalisent à une vitesse folle»
Pire, Fabian Eberhard en remettait une couche ce mercredi, moins de 30 heures avant l’intervention des canons à eau: «Les coronasceptiques représentent un danger pour la sécurité intérieure. J’ai observé ce milieu composé de sceptiques, de négationnistes et de conspirationnistes. C’est indéniable: ils se radicalisent, et ce à une vitesse folle. Cela s’est intensifié ces dernières semaines, au point que le danger d’actes violents est très concret.»
Comme un symbole, les protestataires ont scandé le nom d’Ueli Maurer tel un attaquant de Young Boys. Le ministre UDC est devenu la nouvelle égérie de la «liberté» depuis qu’il a revêtu fièrement le t-shirt des anti-Conseil fédéral. Pompier pyromane, le ministre des Finances a joué avec le bidon d'essence comme Donald Trump avant lui. Espérons que les gardes-fous de la démocratie suisse soient aussi solides que les barrières de la police bernoise, ce funeste jeudi soir, et surtout que les parlementaires sortent de leur habituelle quiétude pour prendre la mesure du danger qui couve.