Décédé le jour de Pâques, le pape François incarnait une mondialisation qui profite aux plus faibles et contraint les riches (Etats, entreprises, particuliers) à devoir partager leur fortune. Cette affirmation, sans cesse répétée, lui a valu tout au long de son pontificat entamé en 2013, la colère de nombreux dirigeants mondiaux, et d’une partie des fidèles catholiques.
Premier pape non européen depuis plusieurs siècles, Jorge Mario Bergoglio défendait avec des mots simples les hommes et les femmes contre la tentation naturelle de l’accumulation, de l’égoïsme et de la prédation. Message logique pour ce prêtre jésuite argentin, inspiré de l’exemple de Saint-François d’Assise dont il citait régulièrement les écrits et les paroles.
Dignité des pauvres et des migrants
Cette volonté toujours répétée de mettre en avant la dignité des pauvres ou des migrants, et la nécessité pour les pays les plus riches de la planète de prendre en compte les aspirations des nations émergentes d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, avait fini par le mettre en porte-à-faux face aux tempêtes nationales-populistes et protectionnistes qui soufflent sur le monde. Son soutien aux Chrétiens palestiniens de Gaza, bombardés jour et nuit, aura été l'un de ses derniers combats. Preuve ultime de son engagement fournie par le calendrier: la réception très brève ce dimanche pascal, après un bain de foule, de son dernier hôte, au Vatican: le très catholique vice-président américain JD Vance, défenseur de la politique d’expulsion massive de clandestins vers les prisons du Salvador ou vers leur pays d’origine.
François, très affaibli et en chaise roulante, n’avait alors pas saisi l’occasion pour prononcer devant lui un nouveau sermon. Comme s’il redoutait que la vague du destin, et du changement à l’œuvre dans nos sociétés occidentales inquiètes, soit en train de l’emporter irrémédiablement.
Une autre planète
La planète n’était pas seulement celle du pape François. L’Eglise catholique romaine compte environ 1,5 milliard de fidèles. L’ancien archevêque de Buenos Aires avait toutefois, par ses prises de position et son charisme, réussi à dépasser ces frontières religieuses pour parler au monde. A-t-il, pris dans l’étau des obligations de sa fonction et du clergé, été trop prudent dans la dénonciation des abus sexuels commis à l’ombre des institutions cléricales?
Submersion de l’Islam?
S’est-il trompé en oubliant que les lois du développement économique et social, en 2025, ne sont plus celles des années 1960-1970? Etait-il conscient, dans sa dénonciation de la répression anti-migrants en Méditerranée, cet effroyable cimetière marin, qu’il heurtait les convictions de nombreux paroissiens inquiets d’une submersion fantasmée de l’islam? Toutes ses remarques sont justes. Elles correspondent à la personnalité d’un pape entier, combattant, pour qui la solidarité valait mille fois mieux que la renaissance inquiétante de l’esprit de croisade.
Les très nombreux cinéphiles qui ont vu récemment le film «Conclave» savent comment sa succession sera gérée. L’Eglise catholique se retrouve aux prises avec son avenir, confié à des Cardinaux dont une large partie doivent leur ascension à ce Pape qui assumait d’être la voix de ce qui fut longtemps «le tiers-monde». Va-t-elle confier son destin à une personnalité plus centriste, voire conservatrice? Demeurer à contre-courant des évolutions sociales, pour une telle institution, sera dans tous les cas très compliqué.
Rébellion de l’esprit
Le pape François incarnait la rébellion de l’esprit et de l’espoir face aux contraintes matérielles et financières. Il répétait aux Occidentaux qu’ils ne sont plus les maîtres du monde et redoutait l’emprise, dans toutes les religions, des redoutables marchands du Temple.
Sa disparition, dans un monde d’Empires où les puissants – de Poutine à Erdogan en passant par Trump – se targuent de puiser leur force dans la religion, nous confrontent tous à une simple question que la réforme de Martin Luther osa brandir dans l’Europe très catholique de 1517: la foi, l’individu, et la liberté de conscience peuvent-elles défier les pouvoirs temporels, économiques et cléricaux?