Arrivé en Toscane pour quelques jours quand soudain, autour d’un verre de vin rouge, je me rends compte qu’il est temps de signer une nouvelle chronique pour Blick. Vu le timing, quoi de mieux que de parler… des vacances!
Alors, petit coup de projecteur sur ce qui est aujourd’hui une évidence: de quand date le droit aux vacances payées? Comment ces conquêtes sociales ont-elles été obtenues? Quels enseignements en tirer pour les luttes actuelles?
Vive la mobilisation!
En Suisse, il a fallu attendre 1966 pour voir les congés payés devenir une réalité au niveau fédéral. Avec à l’époque deux semaines de vacances garanties par la loi sur le travail. Notons que plusieurs cantons légifèrent déjà à l’après-guerre et les syndicats obtiennent des avancées par la mise en place de conventions collectives dans différentes branches. Il y a moins de soixante ans, bon nombre de salarié-e-s n’ont donc aucun droit légal aux vacances.
En comparaison, trente ans avant la Suisse, à la suite de la victoire du Front populaire aux élections législatives de mai 1936 et aux mobilisations massives qui les suivent (grèves et occupations d’usines), les ouvrières et ouvriers de l’hexagone obtiennent la semaine de 40 heures, l’introduction des conventions collectives de travail et 15 jours de congés payés. Des avancées sociales historiques qui ont changé la vie de millions de personnes et inspirent aujourd’hui encore les syndicats et le Nouveau Front populaire.
La Suisse rejette le droit à la paresse
Le nombre de semaines minimal de vacances augmente ensuite jusqu’à atteindre quatre semaines en 1984. Le droit aux vacances ne connaîtra plus d’évolutions depuis, malgré plusieurs tentatives. L’initiative pour cinq semaines de vacances est refusée en 1985 et celle pour les six semaines en 2012, malgré l’engagement de la gauche et des syndicats. La référence totémique aux conventions collectives et les coûts insupportables pour les PME ont eu raison des deux textes.
Dans le même registre, l’alliance, renouvelée à travers les époques, entre le patronat et les partis bourgeois réussit à faire rejeter les différentes initiatives pour la réduction du temps de travail. Ce qui fait aujourd’hui de la Suisse l’un des pays d’Europe où les salarié-e-s doivent travailler le plus grand nombre d’heures. Tout cela aux dépens de leur propre santé, de leur vie privée et du climat.
Seule la loi protège les plus précaires
Aujourd’hui comme hier, il subsiste de nombreuses inégalités liées à la pénibilité du travail et à la possibilité de réduire son temps de travail en conservant un salaire correct. On peut dire que les personnes qui aujourd’hui bénéficient déjà de conditions de travail favorables (possibilité de faire du télétravail, semaines de congés plus élevées que le minimum, etc.) sont les mêmes qui, au moment de l’introduction des vacances payées dans la loi, bénéficiaient déjà desdites vacances.
Il est comique, et somme toute assez consternant, de se dire qu’il est bien probable qu’une majorité des personnes qui ont refusé l’augmentation du nombre de semaines de vacances à cinq ou six semaines de vacances payées bénéficiaient déjà de vacances plus longues que le minimum légal.
C’est une évidence pour l’ensemble des militantes et militants de gauche: seul un changement de législation permet d’améliorer les conditions de vie du plus grand nombre, en particulier celles des personnes subissant un travail précaire et, bien souvent, pénible. N’oublions jamais qu’entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit.
Réduire le temps de travail, la solution idéale
Notre pays voue un véritable culte au travail. Sans se soucier suffisamment des souffrances qui en découlent. C’est mathématique: plus le nombre d’heures consacré au travail salarié est grand, moins de temps est disponible pour le repos, le travail domestique, la garde des enfants et les loisirs.
Heureusement, de plus en plus de gens n’acceptent plus de vivre pour travailler et chamboulent ce système économique malade. Réduire le temps de travail rémunéré n’a que des avantages: partage du travail, création d’emplois, meilleure santé, répartition des tâches domestiques et sobriété.
Égalité réelle et meilleure santé
Les femmes ont souvent des taux d’occupation plus faibles dans leur travail rémunéré et assument ainsi la majorité du travail domestique et familial. Répartir ces tâches équitablement ne sera possible qu’avec une réduction globale du temps de travail, la mise en place d’un congé parental obligatoire digne de ce nom et un salaire minimum. Pour que l’égalité soit enfin une réalité.
La Suisse a longtemps porté aux nues la figure du paysan ou de l’ouvrier qui travaillent sans relâche. Pas étonnant dès lors que la santé au travail peine à y devenir un véritable enjeu politique.
Stress, épuisement et burnout sont pour beaucoup devenus des synonymes du mot travail. Près d’un-e salarié-e sur quatre est stressé au travail, ce pourcentage est passé de 18 à 23% en dix ans et la moitié de ces personnes se dit épuisée émotionnellement dans leur travail. Ces souffrances physiques et psychologiques ont aussi un coût économique: 6,5 milliards par an selon les données les plus récentes. Il est temps d’agir.
Changer notre rapport au travail salarié
Environ 200 personnes meurent chaque année en Suisse à cause de leur activité professionnelle. Les maladies liées au travail font désormais les gros titres des médias et deviennent un enjeu de société à la hauteur des dégâts causés par la pénibilité, la surcharge, le stress et le manque de sens. Même si c’est une étape indispensable, il ne suffira pas seulement de travailler moins pour retrouver un équilibre dans nos vies et réussir le défi de la transition écologique.
Le problème est plus profond: nos conditions de travail nous satisfont-elles et ce dernier contribue-t-il au bien commun?
«Bullshit jobs» à la pelle
Pour mieux comprendre l’absurdité de certains emplois, et les souffrances immenses qui en découlent, je vous recommande vivement la lecture du livre «Bullshit Jobs» de David Graeber, anthropologue et militant anarchiste états-unien.
Basé sur des entretiens avec des salarié-e-s de différents secteurs, il définit plusieurs catégories de jobs inutiles dont le seul but serait de continuer à nous faire travailler. L’auteur, aujourd’hui disparu, souligne aussi un paradoxe bien connu: plus un travail est utile, voire indispensable à la société, moins il est payé et souvent déconsidéré. Une étude passionnante à lire.
La crise écologique, les souffrances sociales et le mal-être au travail, aujourd’hui très répandu, nous obligent à revoir l’organisation du travail et à définir démocratiquement quels sont les besoins «de base» et comment les garantir: assurer à chacun-e les moyens de mener une existence digne, développer des relations sociales enrichissantes, transmettre une planète habitable aux futures générations. Cela ne sera possible qu’en construisant une économie déglobalisée, définanciarisée, démocratisée et dépolluée.
Pas de droits sociaux sur une planète morte
Vous l’aurez compris, les avancées sociales majeures ne sont possibles qu’à travers l’adoption de nouvelles lois. D’autant plus qu’un autre défi majeur se pose désormais à nous: l’écologie.
Ces luttes doivent être menées en parallèle. Le droit à une vie digne et au bonheur ne peut être relégué au second plan. La crise climatique ne peut être ignorée pour des raisons sociales. Seule une transition écologique sociale permettra d’assurer un avenir qui vaut la peine d’être vécu. Pour nous et pour les prochaines générations.
Rendez-vous à la rentrée pour les mobilisations sociales et les votations pour protéger la biodiversité et le climat. Bonnes vacances si vous en avez et bel été!