«La bête arrive». Cette petite phrase, lâchée par un journaliste alors que Pierre Maudet débarque à l’Université de Genève avec son impressionnant cortège de supporters, résume la relation qu’entretiennent les Genevoises et les Genevois avec le politicien de 45 ans.
Un mélange d’agacement et de fascination pour celui qui réalise une impressionnante percée, à l’occasion du premier tour des élections cantonales genevoises ce dimanche 2 avril.
Hier encore en disgrâce à la suite de son voyage tout frais payés à Abu Dhabi, empêtré dans son mensonge, contraint de quitter le Conseil d’État, Maudet est aujourd’hui porté en triomphe sur les épaules de deux membres de son parti.
Et «couvert» de fleurs au moment de monter sur le plateau de la chaîne de télévision régionale Léman Bleu. Il y répète sans surprise le discours populiste qu’il a tenu ces derniers mois, à l’occasion d’innombrables rencontres: «se concentrer sur des projets concrets», «écouter la population» et «tendre la main à tout le monde». Un discours qui a fait mouche.
Après l’absolution, la résurrection?
«Ce premier tour est son absolution, le deuxième sera sa résurrection», prophétise Manuel Tornare, ancien maire de Genève et Conseiller national socialiste.
Une prophétie? Plus vraiment. Dès lors que Pierre Maudet se classe à la sixième place au sein d’un ballottage général, et que le parti qu’il a créé, Libertés et Justice sociale (LJS), réalise l’exploit d’entrer au Grand conseil, ses chances de signer l’un des come-back les plus spectaculaires de la politique suisse sont excellentes.
Sa sixième position, derrière les cinq ministres sortants, est moyennement étonnante. Pierre Maudet a pu compter sur sa propre notoriété, renforcée par de nombreux fidèles. Faire entrer dix novices au Parlement est, par contre, assez époustouflant.
Ce tour de force n’est pas sans rappeler le coup magistral réalisé en octobre 2005 par le Mouvement citoyen genevois (MCG), qui avait fait élire neuf de ses candidats.
En campagne dans la campagne
Comment expliquer un tel exploit? «Pierre Maudet a réalisé une campagne souterraine puissante», résume un cador du PLR, qui reste la première force politique du canton, mais perd six sièges… Probablement au profit de ce même Maudet, renié par le PLR en juillet 2020.
Manœuvres souterraines? En officier, Maudet a surtout joué avec une application toute militaire les gammes d’une redoutable campagne de terrain.
Le «revenant» a compris que les Genevoises et les Genevois, empêtrés dans les problèmes de trafic et de logement, que les politiques classiques promettent de régler sans jamais y parvenir, en avaient marre du blabla relayé par les partis institutionnels.
Estampillé «anti-establishment», le quadragénaire a occupé tous les terrains sur la base de thèmes pas révolutionnaires, mais clairement balisés. Ses réseaux sociaux, sponsorisés, témoignent d’une forte présence personnelle dans les milieux agricoles, et donc dans les communes, qui sont l’une des clés importantes d’une élection à Genève. «Nous sommes allés chercher les voix une à une», détaille un membre de LJS.
Des anonymes pas si anonymes
Tout le monde a, peut-être, également sous-estimé le rayonnement des personnes présentes sur la liste de LJS. Beaucoup y ont vu des quidams sans expérience politique, mais la réalité est un peu différente.
Fin renard, la «bête» n’est pas allée chercher des personnes lambda, mais des citoyens (les élus étant très masculins) disposant de relais importants au sein de leurs communautés respectives.
Celles-ci seront-elles assez fortes — et mobilisées — pour offrir sa revanche à Pierre Maudet? Réponse le 30 avril prochain.
Cet article a été modifié suite au dépouillement de tous les votes. Dans notre première version, Pierre Maudet devançait la ministre sortante, Fabienne Fischer.