Trump s'attaque à ses partisans
«Ces idiots déguisés ne sont pas des nôtres»

Un nouveau livre-révélation sur Donald Trump montre à quel point le président américain était confus lors de la prise d'assaut du Capitole. Le président sortant n'aurait apparemment pas même reconnu sa base de fans.
Publié: 03.07.2021 à 17:14 heures
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Dernière mise à jour: 03.07.2021 à 17:16 heures
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Comment Trump a-t-il vécu l'attaque du Capitole?
Photo: AFP
Fabienne Kinzelmann

Le 6 janvier 2021 entrera dans l'histoire des États-Unis comme un de ces moments-clés médiatiques, dont les images s'ancreront dans l'inconscient collectif pour des décennies: la cérémonie officielle et solennelle de certification des votes de l'élection du président américain est sauvagement perturbée par une foule en colère qui pénètre au coeur même de la démocratie américaine, le Capitole, en s'attaquant aux forces de l'ordre, en brisant des vitres et en scandant des slogans promettant mille supplices aux traîtres et aux ennemis de Donald Trump.

Le président sortant a allègrement soufflé sur les braises du mécontentement en alimentant sa base électorale fervente de théories du complot hasardeuses et dénuées de tout fondement sur les soi-disant fraudes électorales qui auraient mené à sa défaite. Cette foule qui a pris d'assaut le Congrès américain l'écoutait encore, une heure avant la première vitre brisée, proclamer sa victoire volée, tandis qu'il les exhortait à «marcher sur le Capitole». Cinq personnes sont mortes.

Les nombreuses images de ces évènements ont été décryptées minute par minute par les équipes vidéos du «New York Times», suivant les manifestants et les groupes d'extrême-droite, qui s'étaient visiblement préparés à en découdre.

L'enquêteur et auteur Michael Wolff, lui, s'est concentré sur ce qui s'est passé à la Maison-Blanche, ce jour-là. Dans un livre intitulé «Landslide», qui sera publié le 27 juillet et dont le «New York Magazine» et le «Monde» ont déjà publié un extrait, il raconte l'histoire rocambolesque d'un président déchu et confus.

Aux aurores

Alors que les premiers manifestants pro-Trump se rassemblent déjà à Washington, les fidèles du président républicain à la Maison-Blanche avaient les yeux rivés sur tout autre chose. Mark Meadows, son chef de cabinet, Eric Herschmann, son avocat et Dan Scavino, son conseiller en réseaux sociaux, attendent de voir comment le vice-président Mike Pence se comportera lors de la cérémonie de comptage des votes des Grands Électeurs au Congrès, cérémonie au cours de laquelle il joue un rôle central en tant que président du Sénat, face à la rivale honnie Nancy Pelosi.

Voici l'espoir (irréaliste) qu'entretiennent des proches de Donald Trump: que Mike Pence refuse de certifier le décompte et appelle à un recomptage.

L'avocat Rudy Giuliani, qui aurait bu toute la journée et aurait attisé les délires du président américain, n'a selon Wolff cessé de répéter: «Il n'y a aucun doute, absolument aucun doute, que le vice-président est capable de faire cela. C'est un fait. La Constitution lui donne l'autorité de refuser la confirmation des votes. Cela remonte aux Pères Fondateurs de l'État fédéral.»

Peu avant 10 heures

La famille arrive à la Maison-Blanche: les fils Donald Jr. et sa petite amie Kimberly Guilfoyle, Eric et sa femme Lara. Ivanka vient seule car Jared Kushner est sur le chemin de retour du Moyen-Orient. Michael Wolff décrit une ambiance «enflammée».

10h50

Rudy Giuliani s'avance vers le pupitre. Il affirme depuis des semaines que l'on peut faire «entièrement confiance à Mike Pence, il n'y a aucun doute là-dessus». Son discours sera du même acabit. La veille, Donald Trump, interpellait également son vice-président: «Préférez-vous être un patriote ou une mauviette ?»

11h45

L'entourage du président est conduit au rassemblement situé à deux minutes de là dans la limousine présidentielle «The Beast» et les véhicules d'escorte.

La famille Trump est déjà là. Wolff écrit que dans la tente qui sert de coulisses à l'évènement, l'ambiance est presque détendue. «En apparence, oui, ils sont tous là pour protester contre l'élection truquée, défendre la présidence de Trump et attendre le sauvetage in extremis par le vice-président. Mais il règne aussi un air de célébration, comme s'ils étaient tous conscients que ce serait vraisemblablement le dernier rassemblement de Trump en tant que président.»

Alors à quoi bon s'adonner à un tel battement médiatique, alors qu'au plus profond du cercle intime de Trump, plus personne n'y croit? Pour l'enquêteur, la réponse se chiffre en dollars. Le rassemblement aurait surtout pour but de récolter des fonds.

Le discours de Trump

Donald Trump entre sur scène tandis qu'en arrière-fond retentit son hymne standard «Proud to Be an American». Il fait un froid glacial. Rudy Giuliani et son équipe sont partis, «les orteils gelés», peu après le début du discours du président.

12h30

Mike Pence met fin au suspens. Au milieu du discours de Trump, le bureau du vice-président publie un document de plus de deux pages expliquant que le vice-président a conclu «après mûre réflexion» qu'il «ne se sent pas capable d'invalider unilatéralement des votes ou de faire quoi que ce soit, au-delà de son rôle cérémoniel, malgré ce que le président pourrait attendre de lui».

Donald Trump promet alors à la foule d'environ 30'000 à 60'000 personnes qui l'écoute: «Après le discours, nous nous rendrons au Congrès et je serai avec vous. Nous allons y aller à pied. (...) Il faut montrer notre force, et il faut être fort.» Ces mots exaltent la foule.

13h00

Début du dépouillement des votes au Congrès.

13h11

Donald Trump sort de scène, ses conseillers sont atterrés par la promesse de Trump de marcher sur le Capitole. «Vous ne pouvez pas marcher avec la foule», aurait dit le chef de cabinet Mark Meadows au président. Mais le président ne semble pas vraiment saisir ce qu'il veut dire. Michael Wolff cite alors un dialogue ubuesque:

Mark Meadows : «Vous avez dit que vous alliez marcher avec eux jusqu'au Capitole.»

Donald Trump : «Eh bien -»

Meadows : «Comment ferions-nous cela ? Nous ne pouvons pas organiser cela. On ne peut pas.»

Donald Trump : «Je ne voulais pas dire ça littéralement.»

13h30

Donald Trump est de retour à la Maison Blanche, Ivanka est avec lui. Le président américain fait les cent pas. Il est déçu que seule la chaîne C-SPAN, qui couvre la politique américaine, ne documente les troubles qui commencent à faire vibrer les fenêtres du Congrès.

Rudy Giuliani l'appelle depuis le luxueux hôtel Willard et lui fait «un rapport logorrhéique sur Mike Pence, mais sans procurer d'informations nouvelles».

Michael Wolff décrit comment personne, à part Donald Trump et Rudy Giuliani, ne croit encore à la «victoire». «Les médias ont longtemps émis des mises en garde lugubre d'un plan secret de Donald Trump pour s'accrocher au pouvoir. Certains craignaient même un coup d'état imminent. En fait de coup d'état, il n'y avait que deux conspirateurs et personne pour les soutenir.»

13h49

Donald Trump retweete une vidéo de son discours. Au même moment, des émeutiers franchissent les portes du Capitole.

14h15

Les conseillers du président Donald Trump deviennent nerveux: «Il se passe des choses ici en ce moment que je n'arrive pas à cerner...», aurait déclaré le chef de cabinet Mark Meadows.

14h20

Le Congrès ajourne le décompte des voix.

14h24

Trump tweete au sujet de son colistier après avoir appris qu'il avait reconnu les résultats des élections en Arizona: «Mike Pence n'a pas eu le courage de faire ce qui aurait dû être fait pour protéger notre pays et notre Constitution en donnant aux États une chance de certifier des votes corrigés, et non les votes frauduleux ou inexacts. Les États-Unis exigent la vérité!»

Mark Meadows, Eric Herschmann et Jon Scavino exhortent le président à faire une déclaration publique sur les événements et à réprimander les manifestants, «mais il n'a cessé d'être obnubilé par le vice-président.»

14h38

Donald Trump poste un tweet écrit par Jon Scavino appelant la foule à rester pacifique.

Ivanka, quant à elle, parcourt la Maison Blanche en discutant de ses enfants, selon Michael Wolff.

15h30

Poussé par ses conseillers, Trump poste un autre appel à la non-violence. Lors d'appels téléphoniques divers, il assure à ses interlocuteurs qu'il va s'exprimer publiquement, tout en «répétant encore et encore que l'élection lui a été dérobée, exigeant de chaque interlocuteur au bout du fil qu'il lui confirme que les médias exagèrent l'ampleur des débordements de l'émeute et qu'au fond, les manifestants restent globalement pacifiques.»

15h40

Donald Trump semble changer d'attitude. Dans des conversations privées, il marmonne que cette foule qui assaille le Congrès ne serait «pas notre peuple». Ivanka, elle, appelle cette même foule des «patriotes américains» dans un tweet qui sera supprimé plus tard.

La foule

Au fil de la journée, Donald Trump devient de plus en plus confus. Lors d'appels téléphoniques en fin d'après-midi, il aurait paru «impuissant». Michael Wolff décrit des conversations durant lesquelles «les monologues du président se sont de plus en plus ralentis, jusqu'au point où il s'est tu, tant et si bien que ses interlocuteurs, habitués à ses intarissables tirades, ne savaient plus s'il était encore en ligne ou non.»

Jon Scavino informe Donald Trump dans la soirée qu'il est bloqué sur Twitter. À un peu plus de 19 heures, ce dernier éructe au téléphone: «Je ne sais pas quoi faire, ici». Une telle incertitude, voire une angoisse, étonne son cercle restreint qui ne l'a jamais vu ainsi auparavant.

Le soir, Trump insulte les émeutiers: «Qui sont ces gens ? Ils ne sont pas des nôtres, ces idiots déguisés. Ils ressemblent à des démocrates.»

4 heures du matin le lendemain

Ce n'est que le lendemain matin que Jon Scavino publie la déclaration de Donald Trump via son propre compte Twitter: «Même si je ne suis pas du tout d'accord avec les résultats de l'élection et que les faits me donneront raison, il y aura quand même une transition de pouvoir en bonne et due forme le 20 janvier. J'ai toujours dit que nous nous battrons pour que seuls les votes légaux soient comptés. Bien que cela marque la fin du meilleur premier mandat de l'histoire présidentielle, ce n'est que le début de notre combat pour rendre l'Amérique grande à nouveau!»

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