En 2022, la guerre en Ukraine n'a pas seulement marqué un tournant en matière de politique de sécurité. Face à la menace d'une pénurie de gaz et d'électricité, elle a aussi influencé la politique énergétique à l'échelle mondiale. Au cœur de la tempête se trouve un homme: le conseiller d'Etat valaisan du Centre Roberto Schmidt, à la tête du Département de l'énergie. Egalement président de la Conférence des directeurs cantonaux de l'énergie, il a autrefois initié la sortie du nucléaire, alors qu'il était conseiller national. Il n'en démord pas aujourd'hui, comme il l'explique dans cette interview accordée à Blick.
Vous êtes considéré comme le «père de la sortie du nucléaire». Regrettez-vous aujourd'hui votre initiative?
Non. La pénurie actuelle d'électricité n'est pas due à l'abandon progressif du nucléaire, mais à notre dépendance vis-à-vis des énergies fossiles étrangères.
Le camp bourgeois réfléchit déjà à des subventions pour les quatre centrales nucléaires suisses existantes afin de prolonger leur durée de vie. Emprunte-t-il la mauvaise voie?
La bonne voie est de mettre à disposition des subventions pour accélérer la mise en œuvre du tournant énergétique. Un approvisionnement renouvelable et sans nucléaire, tel qu'il a été décidé par les électeurs suisses en 2017, est judicieux et possible à long terme. Néanmoins, je n'ai personnellement jamais été opposé à ce que les centrales encore en activité aujourd'hui continuent à être exploitées, pour autant qu'elles remplissent les exigences légales en matière de sécurité.
De nouvelles centrales nucléaires sont-elles également envisageables?
Non, car celles-ci ne résolveraient pas les problèmes de la crise énergétique à court terme et ne constitueraient pas une option raisonnable à moyen et long terme. Les nouvelles centrales nucléaires ne sont pas intéressantes sur le plan économique et la gestion des déchets reste un problème de taille et un risque économique. S'il ne faut, certes, pas fermer totalement la porte aux nouvelles technologies – même dans le domaine de l'énergie nucléaire – les débats sur de nouvelles centrales n'apportent rien à l'heure actuelle.
Avec Albert Rösti, c'est un partisan avéré du nucléaire qui reprend le Département de l'énergie au niveau fédéral. Faut-il craindre des tensions avec lui à l'avenir?
Pas du tout! Albert Rösti et moi nous connaissons depuis des années et nous avons toujours bien travaillé ensemble. Je suis convaincu qu'il respectera la décision démocratique du peuple suisse. Il pourrait même accélérer le développement de l'approvisionnement en énergie renouvelable, car il a une vision claire de la situation, basée sur la pesée des intérêts entre la production d'énergie et la protection du paysage.
Pour l'instant, il s'agit d'éviter une situation de pénurie d'électricité. En cas d'urgence, le Conseil fédéral veut prescrire dans les moindres détails quand et comment il faut économiser l'énergie. Cela ne tend-il par vers une forme d'Etat providence?
J'appelle cela de la microgestion. Personne n'apprécie que l'Etat s'immisce dans la vie privée. Même en cas de pénurie d'électricité, nous ne pouvons pas tout régler dans les moindres détails et encore moins tout contrôler. Il serait à mon avis préférable, en cas d'urgence, de n'adopter que quelques prescriptions clairement compréhensibles pour une plus grande force d'impact. Jusqu'ici, il était tout de même important que le Conseil fédéral indique au moins une fois comment et où il est possible d'économiser de l'électricité en cas de pénurie. Chacun d'entre nous peut y contribuer et, en plus, économiser des coûts.
Vous êtes donc plutôt critique à l'égard des dispositions détaillées prises par le Conseil fédéral?
Les premiers projets d'ordonnances n'étaient guère utilisables et auraient causé de gros dommages économiques à certaines branches. Je trouve bien que l'on prévoie désormais des mesures spécifiques pour différents paliers: appels à l'économie, interdictions, contingentements, jusqu'à la coupure de réseau. Toutefois, nous ne savons toujours pas très bien sur la base de quels critères les étapes seront déclenchées. L'économie et la population auraient besoin d'un délai de préparation.
Quelle est la disposition que vous considérez comme la plus absurde?
Le contrôle par les cantons du respect des prescriptions dans le secteur privé. Cela n'est pas du tout possible, ne serait-ce qu'en raison des ressources humaines. Il est aussi absurde de vouloir sanctionner pénalement le non-respect des prescriptions. Cela donnerait du travail inutile aux autorités déjà surchargées. Si le Conseil fédéral devait absolument mettre en place des sanctions, il devrait se limiter à des amendes d'ordre.
La Conférence des directeurs cantonaux de l'énergie estime que certaines mesures ne sont pas compréhensibles. Un exemple?
Certaines mesures me semblent disproportionnées. Il est par exemple difficile de comprendre que les installations de wellness et les saunas puissent continuer à être exploitées, même en dernier recours, alors que les particuliers doivent baisser la température de leurs pièces à 18 degrés et que les gros consommateurs doivent contingenter leur consommation. De plus, les ordonnances sur le gaz prévoient une température ambiante de 20 degrés. Celui qui se chauffe au gaz doit donc pouvoir chauffer davantage que celui qui se chauffe avec une pompe à chaleur ou à l'électricité. C'est incompréhensible.
Les directeurs cantonaux de l'énergie s'opposent également aux restrictions sur la mobilité électrique.
Le nombre de véhicules électriques est trop faible pour que cette mesure ait l'effet escompté. Il est certainement judicieux de laisser une fois ou l'autre les véhicules à l'arrêt. Mais il n'est pas possible de sensibiliser la population à la mobilité durable, d'encourager l'achat de voitures électriques et l'installation d'infrastructures de recharge à l'aide de subventions, puis soudain, de vouloir interdire l'utilisation des voitures électriques. Ce ne serait pas un signal crédible pour la population.
La vitesse sur les autoroutes pourrait être limitée à 100 km/h. Qu'en pensez-vous?
A ma connaissance, ni la Conférence des directeurs cantonaux de l'énergie, ni les cantons ne se sont encore prononcés à ce sujet. Personnellement, je serais tout à fait d'accord avec une telle disposition, pour autant que ce soit limité dans le temps et en phase avec l'étape de la crise dans laquelle nous nous trouvons. Cela permettrait de réduire la consommation d'essence et de disposer de plus de carburant pour les groupes électrogènes de secours ainsi que d'économiser de l'électricité dans les stations-service.
La campagne de prévention contre la pénurie de la Confédération et des cantons est en cours depuis septembre. Avez-vous depuis lors envoyé moins de courriels, comme le propose par exemple le canton du Valais?
Malheureusement non, mais j'ai au moins éteint mon ordinateur plus souvent.
Où avez-vous personnellement agi?
A la maison, nous avons baissé la température des pièces à 20 degrés, voire 18 pour certaines, et nous avons complètement éteint certaines lampes. Nous avons désactivé le mode veille des appareils électriques et nous suivons aussi quelques conseils d'économie simples et efficaces pour cuisiner.
Pour quel partie du quotidien les économies d'énergie vous seraient-elles désagréables?
Renoncer à l'eau chaude pour prendre ma douche serait délicat. Mais j'espère que nous n'en arriverons jamais jusque-là.
Vous avez ordonné à vos fonctionnaires de moins chauffer les bureaux. Ont-ils froid cet hiver, selon vous?
Personne ne doit avoir froid, mais on peut tout à fait mettre un pull de temps en temps. La réduction de la température ambiante à 20 degrés dans les bureaux de l'administration cantonale valaisanne ne s'est certes pas déroulée de manière optimale au début, car il était difficile de régler précisément la température dans les anciens bâtiments. A certains étages, il faisait soudain trop froid, ce qui n'était évidemment pas bien perçu. Mais depuis, les problèmes ont pu être en grande partie résolus.
Vous attendez-vous à des mesures encore plus drastiques, comme le travail à domicile ou des regroupements de bureaux?
Je ne pense pas que des mesures plus drastiques seront nécessaires dans les prochains mois. Mais si la situation devait s'aggraver, il serait tout à fait possible d'ordonner à nouveau le home office pour économiser de l'énergie, comme nous l'avons fait avec succès pendant la pandémie.
2023 approche. Les perspectives pour le domaine de l'énergie vous inquiète-t-elle?
L'automne a été doux et grâce aux réserves d'eau et de gaz puis aux efforts d'économie de la population et des différents secteurs, la situation s'est quelque peu détendue, de sorte que nous ne manquerons probablement pas de lumière cet hiver. En revanche, l'hiver 2023/2024 me préoccupe davantage.
Pourquoi?
Parce que l'année prochaine, il sera plus difficile pour nos voisins européens de remplir à nouveau leurs réservoirs de gaz. C'est pourquoi nous devrions absolument profiter des prochains mois pour optimiser notre gestion de l'énergie. Contrairement à la pandémie, la crise énergétique est une crise contre laquelle nous pouvons lutter par la planification!
Quels éléments doivent être planifiés selon vous?
Pour les personnes vulnérables qui vivent dans des ménages privés et qui dépendent de l'utilisation d'appareils de maintien en vie, il faudrait trouver des solutions rapidement. Il serait également judicieux de prévoir des contingents volontaires. Il y a un grand potentiel à exploiter, surtout pour les gros consommateurs industriels qui pourraient prévoir des charges ciblées et planifiables à l'avance, moyennant une indemnisation.
Pour conclure, comment fêterez-vous le Nouvel An tout en économisant de l'énergie?
Je n'ai jamais gaspillé beaucoup d'énergie à la Saint-Sylvestre et au Nouvel An, car nous restons généralement à la maison et nous faisons la fête en famille ou entre amis. Dans ces circonstances, les bougies rendent de toute façon l'ambiance plus romantique.