La terrasse du Bar du Coin (littéralement), au Locle (NE), se niche à quelques mètres du postomat attaqué à l’explosif dans la nuit de mercredi à jeudi. Il est midi, trois habitués boivent une bière et jabotent. L’un d’eux lance familièrement à la serveuse, qui amène l’addition: «J’aurais bien payé avec du cash, mais comme quelqu’un a fait péter le bancomat le plus proche (rires)… Tu m’amènes la machine Isabelle?» Ça fait jaser. C’est un peu l’événement de l’année, dans cette petite ville de quelque 10’000 habitants, aux rues quasi désertes.
Ce n’est en revanche pas une première dans cette région frontalière avec la France. Pour rappel, l’attaque du postomat au Locle s’est déroulée seulement dix jours après celle d’un bancomat à La Brévine (NE), non loin de là. La Banque cantonale neuchâteloise (BCN) avait alors annoncé qu’elle mettait hors service des distributeurs proches de la frontière: ceux des Verrières, des Ponts-de-Martel, de Couvet et des Eplatures Est à La Chaux-de-Fonds.
Peut-on, à ce stade, parler d’une série? Les voyous qui se sont attaqués au distributeur de billets du Locle et qui sont parvenus à prendre la fuite avec un butin au moment des faits ont-ils été interpellés, depuis? Étant donné la présence d’explosifs, l’affaire est entre les mains du Ministère public de la Confédération, et de l’Office fédéral de la police (Fedpol). Contactées vendredi par Blick, les autorités affirment que «malgré les mesures d’enquête immédiatement mises en place, les auteurs n’ont pas encore pu être arrêtés». La Confédération ne donne pas plus d’informations à ce stade. Est-ce que les Loclois craignent que leur paisible «Mère commune de Montagnes», comme on surnomme le lieu, se ghettoïse? Blick est allé leur poser la question. Reportage.
Venus de France?
Nous arrivons au Locle peu après 11h du matin. Direction la scène du crime. Sur place, des ouvriers réparent les dégâts, sous l’œil d’un agent de sécurité: une grande planche remplace le distributeur éventré, sur la devanture de l’office de la Poste.
Un travailleur*, qui n’a pas souhaité qu’on le nomme, confie: «Vous savez, la frontière française n’est qu’à trois ou quatre minutes de voiture. Des voyous peuvent donc venir de là-bas et repartir très rapidement.» À noter que, à ce stade de l’enquête, rien ne permet d’affirmer que les malfrats seraient venus de et repartis en France.
«Il ne se passe jamais rien ici»
De l’autre côté de la rue, face au bancomat, les vitrines de deux commerces — un salon de coiffure et une pizzeria — ainsi que les fenêtres d’un appartement, ont volé en éclat à cause des explosions. Les coiffeurs de L’Oasis sont les seuls à avoir déjà rouvert. Ils nous accueillent à l’intérieur du salon.
Kheirallah et Mohammed ont seulement 21 et 22 ans. Ils sont arrivés en Suisse en tant que réfugiés en 2015, après avoir fui la guerre en Syrie. L’année dernière, ils ont réussi à ouvrir leur propre échoppe, avec l'aide d’autres proches. Explosions ou pas, ils ne peuvent pas se permettre de perdre deux journées de travail consécutives.
Heureusement, les dégâts dans le salon ont vite pu être réparés. Par «chance», seuls la porte d’entrée et un bout de la devanture ont volé en éclats (contrairement à la pizzeria d’à côté, dont l’entièreté de la vitrine a été impactée). Kheirallah témoigne, dans un français très fluide: «On vient d’un pays en guerre. Donc la Suisse, en comparaison, c’est un havre de paix — il en faut plus qu’un bancomat explosé, pour nous effrayer… Mais c’est vrai que c’est choquant, quand même, d’autant plus qu’il ne se passe jamais rien ici d’habitude!»
Il sourit, puis ajoute: «Évidemment, mon frère et moi n’étions pas sur place, quand ç'a pété. Mais j’ai un ami qui travaille à la Poste. Il se rendait au travail à ce moment-là. C’est lui qui m’a appelé, dès qu’il a vu ce qu’il s’était passé, pour m’avertir que les vitres du salon étaient cassées. Lorsqu’on est arrivés sur place avec Mohammed, la police avait tout bouclé, ils ne nous ont pas laissé entrer. Dieu merci, rien n’a été volé chez nous.»
«Pas de sécurité la nuit»
Eduardo, quidam loclois, est un habitué du salon de coiffure. Nous le croisons par hasard devant L’Oasis. Il travaille pour la Ville, il balise les routes, «donc je travaille de nuit», précise-t-il. L’homme confie en outre habiter dans l’immeuble où se trouve la Poste, là où les explosions ont eu lieu. «Dans la nuit de mercredi à jeudi, je rentrais chez moi vers 3h45 du matin, souffle-t-il. Il faisait nuit. En général, quand je rentre à cette heure-là, il n’y a pas un chat, dans les rues. On dirait presque une ville fantôme.»
L’Italien d’origine s’allume une cigarette et embraie: «Donc j'arrive chez moi. Je m’allume une clope, je vais aux toilettes. Puis, soudain, j’entends un bruit très fort — j’ai d’abord pensé que c’était un orage ou un éclair. Dans les secondes qui suivent, j’entends un deuxième, puis un troisième gros bruit — je me dis que c’est quand même vachement fort, pour un orage. Je descends voir ce qu’il se passe. Il y a encore de la fumée et des éclats de matériaux partout, à ce moment-là.»
Est-ce que ça l’inquiète, cet épisode? «Moi, ce qui m’inquiète un peu — alors que je viens de Naples, à l’origine! — c’est surtout le fait qu’il n’y a pas de sécurité la nuit, au Locle! Alors, d’habitude, c’est désert, et il n’y a absolument rien à craindre, on est d’accord. Mais quand des choses comme ça arrivent, ce serait quand même pratique d’avoir des policiers qui font des rondes dans la ville de nuit… Sans parler de la sécurité des femmes qui rentrent seules tard le soir, par exemple.»
«Par chance, je n’étais pas chez moi»
Un peu plus loin encore, à droite du Salon de Kheirallah et Mohammed, un appartement a également été touché par les explosions. C’est celui d’Estelle*, qui souhaite rester anonyme. La femme est coach de vie et styliste, elle travaille depuis chez elle. Trois de ses fenêtres ont été endommagées.
«Par chance, je n’étais pas chez moi cette nuit-là, j’ai dormi chez mon fils — j’hésitais à le faire, en plus, c’est un petit miracle que j’y sois allée! Bien sûr, tout ça m'a beaucoup choqué, je suis encore un peu déboussolée, d’ailleurs… La police m’a contacté hier. J’ai pris ma journée aujourd’hui.»
En début d’après-midi, alors que nous quittons les lieux, les rues sont tout aussi calmes et vides qu’en fin de matinée. Une apparente quiétude qui contraste avec l’agitation des esprits des Loclois, durablement marqués par l’attaque.
*Identité connue de la rédaction