Parlementaire, avocat, père de famille, Philippe Nantermod est un homme bien occupé. Ce lundi 2 mai, un rendez-vous ne figure pas dans l'agenda du vice-président du Parti libéral-radical (PLR) Suisse: la rencontre des parlementaires avec des experts du climat sous la Coupole fédérale. L'élu fédéral valaisan — comme bon nombre de ses homologues de droite, surtout du côté de l'Union démocratique du centre (UDC) — boycotte cet événement.
Organisée à l'initiative d'Irène Kälin, présidente verte du Conseil national, cette séance d'information, qui aura accueilli des scientifiques actifs en Suisse et des auteurs et autrices des plus grands rapports internationaux, dont celui du GIEC, avait été provoquée par la grève de la faim de Guillermo Fernandez. Ce père de famille et enseignant fribourgeois était resté 39 jours sur la Place fédérale l'automne dernier.
Le sandwich de Philippe Nantermod attendra. Sur sa pause de midi, le conseiller national a accepté de répondre aux questions de Blick.
Il est 13h. Vous n’êtes pas présent à la séance d’information sur le climat au Palais fédéral de ce lundi. Pourquoi?
Pour plusieurs raisons. Premièrement, en tant que parlementaires, nous sommes invités à beaucoup de séances d’information de plein de milieux différents. Il y en a tout le temps. Notre agenda ne nous permet pas de dire «oui» à toutes ces invitations. Ensuite, la manière utilisée pour imposer cette rencontre m’a agacé. Être convié sous la contrainte n’est pas ma tasse de thé.
Vous voulez dire que vous vous êtes senti pris en otage par Guillermo Fernandez, le gréviste de la faim à l’origine de cet événement?
S'il suffit d'une grève de la faim pour astreindre les parlementaires à une séance sur un thème précis, on prend la démocratie en otage. Notre pays ne fonctionne pas ainsi.
Vous sentez-vous assez informé en matière d’environnement et de changements climatiques?
Ce n’est pas le thème sur lequel il me manque des informations. Le sujet est largement traité dans les médias, je lis ces articles avec intérêt. D’autre part, j’ai lu des bouquins et les rapports du GIEC, en anglais, destinés aux décideurs.
Pour décrire cette rencontre avec des scientifiques, vous parlez de «messe». De «messe anticapitaliste et pro-décroissance», même. C’est vraiment de cela dont il s’agit?
Il faut voir d’où vient l’impulsion et s’intéresser de plus près au discours de certains — pas tous, je dois le dire — scientifiques présents lors de cette conférence. Ce sont des gens issus du milieu anticapitaliste et décroissant. On a le droit d’avoir des postures. Il ne faut toutefois pas avancer à couvert. Lorsqu’on parle de biodiversité et de changements climatiques, il y a toute une partie factuelle, que je ne nie pas, bien au contraire, qui m’inquiète beaucoup. Et il y a des aspects moins scientifiques…
Lesquels?
L’aspect qui parle de fin du monde ou de fin de l'humanité, par exemple. C’est un prétexte pour tenter d’imposer des solutions politiques qui sont en partie liées à l’écologie, mais pas seulement. On parle d’écosocialisme, d’écoféminisme, etc… Ces éléments ne font pas partie de mes objectifs.
Mais tout de même. Si des experts prônent la décroissance, ne faudrait-il pas les suivre comme on a suivi les scientifiques en matière de pandémie?
Les experts, nous nous devons de les écouter. Mais, en politique, ce n’est pas à eux de trancher. Souvent, ils sont bons dans un domaine spécifique et ne perçoivent pas les autres enjeux. Le rôle de la politique, c'est d'avoir une vision d'ensemble et d’arbitrer.
C'est-à-dire?
La pandémie en est un très bon exemple: si nous avions appliqué à la lettre ce qui était demandé par les scientifiques, nous serions encore confinés aujourd’hui! Contre leur avis, nous avons par exemple maintenu les domaines skiables ouverts sans conséquences graves. D’autre part, j’ai appelé à la vaccination parce que les effets négatifs sont à peu près nuls. En matière d’environnement, je pense qu’avec la décroissance économique, nous pourrions peut-être relever les défis liés au climat. Mais cela générerait d’autres problèmes, plus grands encore. Comme une augmentation de la pauvreté dans le monde ou des famines.
Comment faire, alors?
Je pense que certaines taxes peuvent être bénéfiques. À terme, imposer l’isolation des bâtiments aussi. Mais je serais contre interdire tous les véhicules thermiques dans les six prochains mois. Encore une fois, il faut arbitrer. On ne peut pas dire oui à tout. Les mesures prônées par les experts de chaque domaine peuvent se contredire. On ne peut pas vouloir la décroissance et sauver les retraites, financées par la croissance, par exemple.
Agir pour le climat n’est donc pas l’urgence absolue à vos yeux?
C’est une urgence et une priorité. Mais des urgences, en matière de prévoyance, d’emplois ou autres, il y en a plein les tiroirs du Parlement! Ce n’est pas aux scientifiques de dicter l’agenda des politiciens. C’est très arrogant de penser que ses préoccupations sont les seules qui valent, de croire que notre souci premier prime sur ceux des autres.