Depuis jeudi dernier, les étudiants propalestiniens campent dans le hall du bâtiment Géopolis de l’Université de Lausanne (UNIL). Ces derniers exigent notamment que les institutions académiques israéliennes soient boycottées par l’UNIL et un «un cessez-le-feu immédiat et permanent sur tout le territoire palestinien».
Des demandes auxquelles le rectorat n’a pas vraiment donné suite, si ce n’est qu’il a autorisé les étudiants à poursuivre l’occupation jusqu’à lundi. Samedi, une manifestation a réuni quelque 200 étudiants et sympathisants de la cause palestinienne devant le bâtiment Géopolis de l’Université de Lausanne.
Conseiller communal (législatif) de Lausanne, le socialiste Mountazar Jaffar est aussi doctorant à l’UNIL. Et son bureau se trouve dans le bâtiment occupé par les étudiants. Pas de quoi gêner l’assistant en sciences politiques qui apporte son soutien au collectif d’étudiants propalestiniens. Interview.
Mountazar Jaffar, vous sentez-vous pris dans un conflit de loyauté entre l’UNIL, votre employeur et les activistes?
Non, je n’ai pas le sentiment que les deux camps s’opposent, avec d’un côté les militants et de l’autre, l’université. Au sein de la direction de l'UNIL, du corps professoral ou administratif, on trouve des personnes en accord avec les revendications des étudiants. D’ailleurs, une lettre signée par des professeurs et moi-même va paraître dans les prochains jours pour soutenir les revendications des étudiants. Je ne vois pas des camps qui s’opposent, mais une tentative de dialogue pour satisfaire aux objectifs de chacun.
Quel est le rôle de l’université au sens large dans le conflit Israël - Hamas? Doit-elle se positionner?
C’est un point important. Bien sûr que l’UNIL n’est pas l’acteur le plus important pour arrêter le massacre à Gaza. Mais elle a un rôle à jouer, à inscrire dans un système.
C’est-à-dire?
Par exemple, en tant qu’élu, j’ai déposé récemment une interpellation qui demande si la Ville de la Lausanne donne des marchés à des entreprises israéliennes qui sont présentes dans les colonies. Chacun, à son niveau, peut faire bouger les lignes. L’UNIL a des accords, des partenariats avec des universités israéliennes, et dans sa petite fenêtre d’action — on ne va pas se mentir, la situation à Gaza est bloquée par les Etats-Unis, puis par l'Union européenne, puis par la Suisse et la majorité droite — il faut qu’elle mette la pression en se désolidarisant des universités israéliennes qui collaborent avec l’Etat israélien. C’est une demande tout à fait légitime.
Pour revenir à l’action des militants. Prendre en otage la communauté estudiantine, c’est la meilleure façon pour faire entendre leurs revendications?
C’est peut-être cynique, mais je pense que c’est un bon moyen. Il suffit de voir l’intérêt médiatique porté à l’occupation du campus. La direction est venue voir les militants. Un rapport de force s’est installé. C’est une bonne manière de visibiliser sa lutte, à l’image des actions menées par les syndicats, comme les grèves, etc. En revanche, le terme prise d’otage me dérange.
Pourquoi?
Certains médias ont présenté cette action comme une prise d’otage, d’étudiants juifs notamment. La RTS est allée interviewer des étudiants juifs en réaction à la mobilisation. C’est méthodologiquement faux. Il y a énormément de personnes juives contre le massacre à Gaza, y compris en Israël. La cause peut déranger, notamment les pro-israéliens les plus radicaux, mais ça ne péjore pas la qualité de l’enseignement. D’ailleurs, le mouvement n’occupe pas de salles d’enseignement.
Vous ne craignez pas qu’on assiste à l’érosion de la frontière entre la science et le militantisme?
Non. Il est difficile de détacher l’un de l’autre. La science n’est pas dans une tour d’ivoire, déconnectée de la réalité. Je travaille sur les politiques publiques des grandes villes, les politiques du logement, etc. Mes résultats ont un impact direct sur les actions qu’entreprend ou non une ville en termes de logement social ou de gentrification. Les chercheurs qui s’intéressent aux mobilisations démontrent qu’il n’y a jamais une délimitation claire entre science et politique. Les deux sont intrinsèquement liés, selon moi.
Le rectorat a autorisé l’occupation jusqu’à lundi. En novembre dernier, il avait interdit la tenue d'un tournoi de foot visant à récolter des fonds pour la population à Gaza. Qu’est-ce qui explique cet infléchissement?
Je ne suis pas persuadé qu’on puisse parler d’infléchissement. La preuve, le cours public de l’UNIL, où la dimension coloniale et politique a été éludée par l’invitation de deux historiens des religions, plutôt proches d’Israël. Une maladresse dans le meilleur des cas, mais selon moi, une décision réfléchie et assumée. L’ouverture au dialogue de la part du rectorat, que je salue, a été initiée grâce au rapport de force créé par les militants. La direction est dans une position délicate où il est difficile d’ignorer les revendications et elle a certainement peur que l’UNIL s’embrase.
L’évacuation des étudiants est prévue pour ce lundi. Va-t-on réussir à éviter les dérapages survenus lors de la visite d’Emmanuel Macron en novembre dernier?
À mon avis, la situation est sous contrôle. Il y a une discipline, une organisation, une participation aussi des professeurs, ça édulcore l’intensité des modes d’action. Mais la possibilité d’un dérapage n’est pas à écarter. Cela dépend aussi de la posture de l’université. C’est un peu le grand suspense jusqu’à lundi, 18h. Que va dire le rectorat? Soyons honnêtes, je n’ai pas beaucoup d’espoir sur les débouchés. Je ne vois pas le rectorat nous dire qu’il va cesser toute collaboration avec Israël.
Pourquoi?
L’UNIL est rattachée à l’État de Vaud, dont la subvention avoisine 50% du budget de l’UNIL. Un Etat de Vaud aux mains d’un Grand Conseil et d’un Conseil d’Etat à majorité de droite. Qui sont déjà intervenus sur les prises de positions individuelles d’enseignants. La direction de l’UNIL a les pieds et les poings liés, mais elle dispose néanmoins d’une fenêtre d’action concernant ses accords.