Intransigeants sur les finances publiques, les Suisses alémaniques? Voilà un cliché éculé de ce côté de la Sarine qui en prend un coup, à la lueur de l'actualité de la semaine dans le canton de Lucerne. Kriens, une ville de la taille de Sion, pourrait faire faillite. L'extrême endettement de la commune, voisine du chef-lieu cantonal, se ressent déjà chez ses habitants.
Louisa Brohm a 34 ans. À la mi-janvier, la jeune mère de famille, comme tous les autres parents habitant la commune, a reçu un courrier. L'expéditeur? La Ville de Kriens. «On nous expliquait que la garderie fermerait durant les vacances pour toutes l'année 2022 et que le coût de la prise en charge des enfants allait augmenter d'environ 50%», raconte la Lucernoise à nos collègues alémaniques.
Une pilule qui a du mal à passer. «Nous ne devons plus payer 600 francs par enfant, mais presque 900. Nous avons deux enfants en bas âge, je travaille à temps partiel, en plus d'étudier. Comment puis-je me permettre que ce poste de mon budget explose du jour au lendemain?», s'interroge la trentenaire. À chaud, celle-ci pense qu'elle risque de devoir sacrifier ses études: «Je dois encore voir, mais, en l'état, mon matelas financier est presque épuisé...»
Louisa Brohm dit comprendre que la commune doive se serrer la ceinture et que les habitants soient mis à contribution. Mais elle ne comprend pas que l'on demande à des familles de rembourser la dette de manière aussi violente. La preuve que la 3e commune du canton, derrière Lucerne (83'000 habitants) et Emmen (32'000), est au bord du gouffre.
Une dette de 200 millions de francs!
Pour l'année 2022, les autorités communales s'attendent à un trou de 3,25 millions de francs. Et ce n'est pas une exception: les comptes de 2021 ont fait état d'un trou d'un million, venant s'ajouter aux excédents de dépenses de deux millions en 2020 et de 5,6 millions (!) en 2019. La dette de la ville s'élève aujourd'hui à environ 200 millions de francs, après d'importants investissements réalisés ces dernières années.
Un endettement si important que la commune doit recourir à des mesures d'économies draconiennes. Et ce, à très court terme. Ainsi, outre la garderie et l'accueil de jour, les services d'aide et soins à domicile (Spitex) sont concernés. D'autres suivront probablement. Et il est également question de vendre des terrains, une mesure qui pourrait rapporter jusqu'à 34 millions de francs dans les caisses communales asséchées.
La syndique, Christine Kaufmann, et le responsable des Finances, Roger Erni, disent comprendre les réactions outrées des parents. «Nous sommes attachés à un modèle moderne où les parents peuvent travailler. Il est essentiel que nous puissions, en tant que commune, mettre à disposition des infrastructures de jour et des garderies», avouent nos deux interlocuteurs. Problème: rétablir l'équilibre des finances communales est leur mission. Et cette dernière est compliquée, le peuple ayant refusé une augmentation d'impôts en 2021. «C'était une des solutions sur lesquelles nous comptions pour faire des économies à court terme», explique le duo à Blick.
Les familles s'organisent comme elles peuvent
La commune tente de ménager la chèvre et le chou, mais c'est compliqué. Pendant ce temps, les parents essaient trouver des solutions. Certaines familles se sont organisées bénévolement pour accueillir des enfants durant les vacances. «Mais c'est impossible de le faire sur le long terme, raison pour laquelle nous avons lancé une pétition pour demander une prise en charge sans que les coûts explosent de cette manière», explique Louisa Brohm.
Si la hausse se confirme, la trentenaire n'aura pas d'autre choix que de quitter Kriens avec sa famille: «Nous voulons à tout prix l'éviter, parce que nous nous sentons bien ici et nos enfants ont toutes leurs attaches sociales. Mais il faut que la commune rétablisse vite le tir au niveau des finances publiques et qu'elle évite de couper dans les services pour les familles...»
La menace d'un cercle vicieux plane sur Kriens. La ville située au pied du Pilatus pourrait voir ses familles quitter son territoire et ainsi accentuer le trou dans la caisse communale. «C'est une éventualité tout à fait possible», confirme Christoph Schaltegger, économiste et directeur de l'Institut de politique économique à l'Université de Lucerne. «Dans une telle situation, les habitants peuvent réagir de deux manières, poursuit-il. Soit une majorité se dégage au niveau politique pour que les impôts augmentent, soit ils réagissent à titre individuel et ils désertent la commune.»
Un précédent en Valais
Ce scénario s'est déjà produit, mais en Suisse romande. En 1990, la commune valaisanne de Loèche-les-Bains devenait la première du pays à déposer le bilan. «Et cela montre que le problème est très sérieux», insiste Christoph Schaltegger.
La syndique de Kriens («présidente de Ville», comme l'appellent les Alémaniques), Christine Kaufmann, refuse de peindre le diable sur la muraille: «Notre commune est très attrayante, avec de superbes installations sportives et de loisirs, des bâtiments scolaires modernes qui ont fait l'objet de grandes rénovations ces dernières années. Beaucoup d'argent a été investi.»
L'élue du Centre est optimiste quant à un redressement rapide. Les nombreuses grues sur le territoire communal sont un autre signe encourageant. «De nouveaux habitants devraient arriver à Kriens. Nous allons pouvoir augmenter nos recettes fiscales», argumente Christine Kaufmann.
Cette mère de deux enfants, bardée de diplômes en administration publique, devrait toutefois rester prudente: dans la commune voisine d'Emmen, la forte croissance démographique a creusé les caisses, preuve que le développement démographique n'est pas un pari forcément gagnant. Le même scénario s'est produit à Köniz (BE) ou Oensingen (SO).