C’est au coin d’un café lausannois que je retrouve Myrtille, une Neuchâteloise de 24 ans, une amie de longue date qui se protège des gouttes sous un petit pavillon. Notre rencontre d’aujourd’hui n’a toutefois rien d’un café entre copines. Je suis venue avec mes questions rédigées sur un calepin. Elle est venue avec le petit stress d’une personne qui se fait interviewer pour la première fois.
Le sujet? Son prénom. Une épine dans le pied. «J’ai dû m’affirmer très tôt, en tant que personne à part entière», me souffle-t-elle, d’entrée de jeu. «On me dit que j’ai de l’énergie, de la tchatche. Avec un prénom banal, je pense que j’aurais eu moins de caractère.»
Un prénom nous suit toute notre vie. C’est un marqueur d’identité, disent les sociologues. Des étiquettes identitaires qui ne sont pas toutes égales aux yeux de celles et ceux qui nous entourent: on charrie plus volontiers une Gertrude, qu’une Mia ou un Noah, les deux prénoms les plus populaires en Suisse en 2021.
Certains noms de baptêmes sont même tabous (qui se souvient de la comédie française «Le prénom», où l’un des personnages fait croire qu’il va appeler son fils Adolf?) D'autres sont si extravagants, que la justice y met son veto.
C'est d'ailleurs ce qui était arrivé aux parents de la petite Fribourgeoise Tiktu Spring Hokkaidö, lorsque l’État Civil avait refusé son enregistrement (le tribunal cantonal avait finalement donné son feu vert). Mon interlocutrice, quant à elle, ne fait pas partie de ces catégories. Elle est dans cette zone grise, où un prénom est hors norme, sans pour autant être interdit.
«On me traitait de menteuse»
«Ça a été difficile à porter, surtout quand j’étais jeune», me confirme celle que j'observe souvent se présenter aux autres par sa phrase signature: «Myrtille, comme le fruit.» Aujourd’hui, elle a accepté son nom de baptême. «Les gens ne me croyaient pas, je devais montrer ma gourmette, sur laquelle était inscrit mon prénom. On me traitait de menteuse.»
Béatrice, sa mère, ne comprenait pas, à l’époque, pourquoi sa fille signait ses copies à l’école par son troisième prénom, Juliette. Au bout du fil, la voix est pleine d'émotions: «Pour moi, son prénom est unique, original, et représente la surprise de sa naissance imprévue et extraordinaire. La myrtille représentait auparavant un fruit d’étonnement et de plaisir que nous mangions une fois tous les 10 ans, parce que nous habitions dans une région où il n'y en avait pas.»
Si les proches de sa famille n’ont fait aucun commentaire particulier, au fil des ans, Myrtille a souffert de certaines remarques: «On me disait 't’as l’air bonne à manger'. Je leur répondais que je n’étais pas mûre... puis, que j’étais pourrie.» Au fond, la jeune fille sentait qu’elle se faisait sexualiser à un jeune âge. Et souhaitait changer de prénom.
Une démarche qui ne peut se faire qu’avec l’accord parental, lorsque l’on est mineur en Suisse. Et qui doit être justifiée. Mais le code civil et les cantons ne donnent pas plus d’indications sur les motivations précises, qui seraient considérées comme valables.
S'appeler «Gay» et être lesbienne
Outre les prénoms, il y a les noms de famille particuliers, ceux qui créent des railleries dans les cours de récré. Natacha* Gay espérait en changer, le jour où elle se marierait. «Je me disais que ce n’était pas 'stylé'. On me faisait des blagues, mon nom n’était pas pris au sérieux.» Une démarche qui va d'ailleurs aujourd'hui «complètement» à l'encontre de ses valeurs, me raconte-t-elle, résolue. Car la jeune femme ne souhaite pas particulièrement reprendre le nom de son mari, ou de son épouse.
Cette Valaisanne d'origine a développé des combines pour que l’on cesse de l’embêter, se rappelle-t-elle, non sans une pointe d'humour. Elle s’est même servie d’une coïncidence. «On m'appelait 'Natacha homosexuelle'. Alors, j’anticipais en disant: ’oui, effectivement, je suis lesbienne, et mon nom de famille l’indique bien.»
En terres valaisannes, ce nom ne sort d'ailleurs pas du lot (en 2021, l'Office fédéral de la statistique répertoriait 493 «Gay» en Valais, les plaçant à la 77e place du palmarès des noms de famille les plus portés du canton). Le résultat? Pour la jeune femme, un sentiment d’appartenance identitaire qu’elle ne voudrait, in fine, pas changer. «Personne n'entend 'gay' comme 'gai'. Mais j’aime finalement bien mon nom, il fait assez valaisan. D'ailleurs, c'est le troisième nom le plus répandu dans mon village.»
L'autodérision comme auto-défense
Et puis il y a ceux qui ont été raillés, mais qui y portent peu d'importance, au point où ils ressentent moins l'empreinte identitaire de leur nom. «C'est difficile à porter, mais en ce qui me concerne, ce n’est qu’un nom et je ne pense pas que cela définisse ma personnalité», m'avertit de prime abord Louis Dominé, un étudiant belge, au bout du fil.
Certes, on l'a souvent embêté, admet-il plus tard, par écrit. Parfois, encore à l'heure actuelle. Mais le jeune homme garde la tête froide: «Ce n’est pas quelque chose sur lequel je peux avoir du contrôle, donc autant s’y faire et vivre avec. Et puis, ça m'a appris l'autodérision.» Moqué lorsqu'il était plus jeune, Louis répondait en blaguant. «Une pirouette qui n'a jamais vraiment marché, au final.»
A l'issue de ces rencontres et échanges, je ne peux m'empêcher deux constats. Premièrement, pragmatiques ou non, mes interlocuteurs ont toutes et tous choisi la même arme — avec plus ou moins de succès — en réponse aux moqueries: l'humour. Deuxièmement, les trois semblent avoir leur petit caractère, un système d'auto-défense bien utile, dans le chemin de l'affirmation de soi.
*Nom connu de la rédaction