Mort tragique du requérant d'asile Alireza, 18 ans
«Nous aurions tous pu finir par nous suicider, dans ce centre d'asile»

Un requérant d'asile afghan de 18 ans a mis fin à ses jours durant la semaine du 28 novembre au Foyer de l'Etoile, à Genève. Ce lundi 5 décembre, de jeunes pensionnaires crient leur colère, alors qu'une association demande au Canton de se positionner. Reportage.
Publié: 05.12.2022 à 17:49 heures
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Dernière mise à jour: 04.04.2023 à 16:42 heures
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Ce lundi, l'une des banderoles qui ornent le bâtiment du foyer pour requérants d'asile de l'Etoile, à Genève, vise indirectement les autorités fédérales: «Ali Reza s'est Suissidé».
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Daniella GorbunovaJournaliste Blick

Son désespoir sera leur force: «Alireza ne doit pas être mort pour rien!», lance Amir devant le foyer pour jeunes requérants d’asile de l’Etoile, à Genève, à quelques pas de la gare Lancy-Pont-Rouge, ce lundi 5 décembre en fin de matinée.

Les mains ensanglantées de peinture rouge, il prépare avec ses camarades les banderoles à slogans qui orneront les tristes grillages du centre d’accueil. Ceux-ci défileront lors de la manifestation prévue le jeudi 8 décembre, en l’honneur de ce jeune homme afghan qui s’est ôté la vie en ces lieux la semaine du 28 novembre, comme le révélait «RTS Info» ce dimanche.

Alireza avait 18 ans. Il était en Suisse depuis deux ans. D’origine afghane, il s’était d’abord réfugié en Grèce, où il aurait été victime de violences dans un camp. En arrivant ici, il souffrait d'un syndrome de stress post-traumatique. Lorsqu’il apprend que sa demande d’asile est rejetée par le Tribunal administratif fédéral (TAF), qui confirme une décision du Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM), et qu’un renvoi vers la Grèce est prononcé, c’est la goutte de trop. Le jeune homme met fin à ses jours, alors même que ses médecins avaient prévenu les autorités fédérales de ses intentions suicidaires en amont.

La zone était entièrement bouclée, il y a quelques minutes encore. «Ce lundi matin, on ne pouvait ni sortir ni entrer», confie un résident. Vers midi, ils sont quasi tous amassés devant les grillages, face aux blocs de béton qui leur servent de logis. Quatre d’entre eux ont accepté de nous dire pourquoi ce suicide — le deuxième dans ce centre en cinq ans — est le drame de trop.

«Je comprends pourquoi il l’a fait»

Sajad, 18 ans: «J’ai peur qu’il ne m’arrive la même chose qu'à Ali, pour être honnête.»

Les jeunes migrants éparpillés devant l’Etoile — qui occupé à peindre une banderole, qui en train de discuter avec des représentants d'associations — viennent volontiers nous parler de l’incident. Pour eux, c’est l'occasion — peut-être unique — d’être entendus par le peuple du pays qui les accueille. Sajad était un ami d’Ali. L'ado de 17 ans affirme avoir eu accès à un psychologue, depuis l’incident. «Mais je suis toujours en état de choc.»

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«Hier, Alireza. Demain, peut-être Sajad… Son histoire, c’est notre histoire à tous»
Sajad, requérant d'asile
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Afghan lui aussi, il ne peut pas s’empêcher de s’identifier à son compatriote parti bien trop tôt: «J’ai peur qu’il m’arrive la même chose, pour être honnête.» Ici depuis deux ans, il attend que le SEM statue sur son cas. «Que ce soit pour le renvoi, ou ce que ce dernier a provoqué pour Ali, oui, j'ai peur qu'il ne m'arrive la même chose. Hier, Alireza. Demain, peut-être Sajad… Son histoire, c’est notre histoire à tous ici. Je comprends pourquoi il l’a fait.»

Sans pouvoir nous révéler l’entièreté de son contenu, Sajad affirme qu'«Ali a laissé une lettre dans sa chambre», où il prendrait à partie les autorités fédérales qui avaient statué sur son sort. Avant de remercier ses amis du foyer et le personnel qui l’y encadrait pour leur soutien et leur bienveillance. Sans oublier sa famille d'accueil à temps partiel, grâce à laquelle il avait pu poursuivre sa pratique du violon.

Un jeune homme se tient à côté de Sajad et moi. Il hoche de la tête en signe d’approbation. Karman a 18 ans. Il se décrit comme le meilleur ami d’Ali. Ils se sont connus dans le premier centre pour requérants d’asile où ils sont tombés en arrivant en Suisse, avant d’être transférés ensemble à l’Etoile, raconte-t-il. «Il était très studieux, il parlait très bien le français, il faisait tout pour s’intégrer… Je ne comprends pas la décision des autorités. Ça me fait peur.»

«Nous ne sommes pas des ados comme les autres»

Amir: «Nous ne sommes pas des adolescents comme les autres. Tous ici ont grandi dans la guerre.»

La peur et le sentiment d’injustice sont deux choses que ces jeunes – dont la plupart ont fui les atrocités de la guerre – connaissent trop bien. Ici y compris. Si leur vie n’est plus en danger en Suisse, la bureaucratie du SEM peut de fait parfois leur coûter (ce qu’il reste de) leur santé mentale: «Je suis en contact avec des jeunes Afghans dans d’autres centres pour réfugiés de Suisse, et je vous assure que ce n'est pas la première fois que ce genre de choses arrivent… Cette fois, on a décidé de ne plus se taire», affirme Amir.

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«Nous tous, ici, avons grandi dans la guerre»
Amir, requérant d'asile
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Son ton devient grave. «Je crois que les personnes ici ne se rendent pas vraiment compte de ce que les jeunes comme Alireza ont traversé avant d’arriver en Suisse. Nous ne sommes pas des adolescents comme les autres. Nous tous, ici, avons grandi dans la guerre. Certains ont même été obligés de la faire, alors qu’ils étaient encore enfants.»

Avant d’y débarquer, l’horizon suisse semblait plein de promesses et de libertés. La réalité, Amir la trouve bien plus sombre: «On est censés être en démocratie ici, non? Alors pourquoi personne ne nous écoute? Pourquoi personne ne veut ouvrir les yeux sur les conditions dans lesquelles nous vivons? Parfois, c’est presque comme une prison… Il faut montrer ses papiers pour entrer et pour sortir, et les grilles se ferment définitivement après 20 heures, par exemple.»

«Son histoire, c’est notre histoire»

Bager, 18 ans: «Si même un pays comme la Suisse n’arrive pas à traiter correctement ses réfugiés, alors qui le peut?»

Bager a, lui aussi, 18 ans. Il attend aussi la décision du SEM. Parfois, il n’en dort pas la nuit. Mais il essaie de ne pas perdre courage. «Si on se laissait dominer par la peur et l’incertitude dans lesquelles nous vivons, on finirait tous comme lui.» Le jeune homme confie qu’Alireza, qu’il considérait comme un ami, n’en était pas à sa première tentative de suicide, d’après ce qu’il lui aurait lui-même confié. «Il m’a dit qu’il avait déjà essayé de se suicider lorsqu’il était dans un centre à Berne. Il aurait passé douze jours à l’hôpital à cause de ça.»

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«Si même la Suisse n’arrive pas à traiter correctement ses réfugiés, alors qui le peut?»
Bager, requérant d'asile
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Malgré son état de choc, il tient lui aussi à porter l’incident dans la sphère politique. Il demande un changement profond: «Son histoire, c’est notre histoire. Des guerres et des migrants, il y en aura toujours, malheureusement. Si même un pays comme la Suisse n’arrive pas à traiter correctement ses réfugiés, alors qui le peut? Nous demandons aux autorités fédérales de faire un pas dans notre sens.»

Genève doit prendre position

Christel Moretto est venue s’entretenir avec l'entourage d’Alireza, au nom de Solidarité Tattes, une association citoyenne qui «se bat pour des conditions de vie dignes et pour un accueil inconditionnel des migrant·e·s».

Pour elle, c’est aussi le cas de trop. Elle demande au gouvernement genevois de prendre position: «La politique du SEM est meurtrière. Nous demandons donc au Conseil d’Etat de demander l'arrêt des renvois des migrants vers la Grèce, d’octroyer un permis B à tous les déboutés mineurs non accompagnés et anciens mineurs non accompagnés, ainsi que de fermer ce Foyer de l’Etoile.»

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