Un chef de train demande à une conductrice de locomotive au téléphone: «Tu es déjà là?» La femme répond qu'elle sera bientôt dans la locomotive. Le chef: «Ah, maintenant je vois tes fesses.»
Dans une salle de pause, des mécaniciens de locomotive discutent de «techniques» pour approcher les femmes dans la cabine de conduite: il faut montrer aux futures mécaniciennes comment utiliser un frein. Comme le formateur se trouve à droite et le frein à gauche, la poitrine de la femme se laisse effleurer en passant la main. Par inadvertance, bien sûr.
Les femmes qui se défendent contre les avances ou les remarques stupides sont la cible de moqueries. On entend des remarques comme: «Tu as tes règles?»
Des propos misogynes, mais pas que
De telles descriptions parviennent régulièrement à Esther Weber. Elles en disent long sur la manière dont les choses peuvent se passer dans certains secteurs des Chemins de fer fédéraux. Elle parle d'une «culture du comptoir» dans la salle des mécaniciens. Les hommes essayaient de se surpasser mutuellement en tenant des propos misogynes.
Esther Weber est responsable du groupe spécialisé Femmes du syndicat du personnel des locomotives et elle-même mécanicienne. Dans sa position, elle a surtout affaire à des cas de harcèlement sexuel et de violence sexualisée. Son constat est le suivant: «La violence sexualisée interne envers le personnel des locomotives est effrayante.»
Les propos déplacés sont fréquents et le harcèlement sexuel est plus répandu qu'on ne le pense. En plus des remarques stupides et des attouchements indésirables, des messages suggestifs arrivent sur le téléphone portable de service. Les abus sont manifestement si répandus parmi le personnel des locomotives qu'ils font déjà partie du quotidien de certains: «Une femme concernée m'a dit que c'était normal, que cela faisait partie du jeu.»
Les femmes sont nettement plus touchées
A la fin de l'année dernière, les CFF ont interrogé les 35'000 collaborateurs sur le thème de la discrimination, du mobbing et du harcèlement sexuel au travail. Environ la moitié des collaborateurs ont répondu. Voici les résultats: 12% des personnes interrogées ont fait état de discrimination, 7% de mobbing et 4% de harcèlement sexuel. C'est ce qu'écrivent les CFF dans une communication interne de ce printemps.
Les femmes sont nettement plus souvent victimes de discrimination et de harcèlement sexuel, alors qu'aucune différence entre les sexes n'est perceptible en ce qui concerne le mobbing.
Ils sont autour des 4% – soit 1400 collaborateurs des CFF – à avoir été harcelé sexuellement au travail au cours des deux dernières années. Selon une personne proche du dossier, 12% de toutes les femmes auraient indiqué avoir été harcelées sexuellement – en extrapolant, cela ferait 800 femmes concernées.
Jusqu'à présent, la direction des CFF a gardé sous clé les chiffres détaillés de l'enquête auprès des collaborateurs – une analyse approfondie des résultats est en cours, indiquent les CFF. Blick dispose d'une partie des résultats de l'enquête.
Le fait que les résultats exacts ne soient pas communiqués suscite des critiques sur l'Intranet des CFF. «Une communication transparente est décisive pour créer une prise de conscience et promouvoir la sensibilité à ces thèmes», écrit par exemple une personne.
Problèmes dans la cabine de conduite
Le sondage, peut-on lire dans la communication interne, montre également qu'il existe des domaines et des groupes professionnels dans lesquels il est nécessaire d'agir davantage. Selon une source, le domaine de l'infrastructure, dans lequel plus de 10'000 employés travaillent par exemple sur les voies ou dans la construction de tunnels, a reçu des valeurs négatives élevées. Le fait que des calendriers de pin-up soient encore accrochés dans certains ateliers montre qu'il y a encore du retard à rattraper en matière de changement culturel dans cette branche.
Il arrive souvent que des situations désagréables se produisent dans la cabine de conduite. Esther Weber du syndicat du personnel des locomotives: «Les mécaniciens peuvent profiter de la promiscuité et de l'absence d'observation pour se rapprocher physiquement des femmes, généralement plus jeunes.»
Souvent, les femmes ne se défendent pas. D'autant plus que l'anonymat ne peut souvent pas être préservé: «Comme nous sommes peu de femmes, il est difficile pour beaucoup de faire des signalements, car il est souvent possible de tirer des conclusions sur la personne.» Il peut alors arriver que le mécanicien de locomotive incriminé s'en prenne à sa collègue, la dénigre devant les autres hommes. La proportion de femmes parmi les mécaniciens de locomotives n'est que de 7% – au total, les CFF en comptent près de 20%.
Une clause de confidentialité controversée
Une clause de confidentialité stricte, que les collaborateurs doivent signer pour pouvoir entamer un processus d'annonce, suscite également des critiques de la part des personnes concernées. Celle-ci interdit aux personnes concernées de s'exprimer sur ce qui s'est passé – ceci afin de garantir la présomption d'innocence des accusés.
La juriste Nicole Vögeli Galli critique la clause des CFF. Selon elle, il ne devrait pas être interdit à une employée des CFF d'échanger des informations sur le harcèlement sexuel avec des contacts proches ou dans le cadre d'une consultation juridique. Selon la professeure de droit du travail de la ZHAW, il suffirait que les CFF renvoient aux lois générales.
«Nous prenons notre devoir d'assistance très au sérieux»
Sur le papier, les CFF se présentent comme une entreprise modèle. Il existe un réseau de femmes et même un «CFF QueerNet» pour les collaborateurs issus de la communauté LGBTQ. Mais ni la présidente du conseil d'administration Monika Ribar ni le CEO Vincent Ducrot ne veulent s'exprimer sur le sondage.
Le chef du personnel Markus Jordi prend position. Pour des raisons de protection de la personnalité et des données, il n'est pas possible d'entrer en matière sur des cas particuliers. Il précise cependant: «Les cas décrits sont tous contraires au code de conduite des CFF. Je condamne avec la plus grande fermeté un tel comportement.» Chaque cas signalé fait l'objet d'une enquête et la tolérance zéro est de mise. Si les reproches sont confirmés, des mesures seront prises. Cela peut aller jusqu'au licenciement de la personne incriminée. Par aillleurs, les CFF vérifient toujours s'il faut déposer une plainte pénale.
Markus Jordi rejette le reproche selon lequel les CFF n'en font pas assez: «En tant qu'employeur, les CFF prennent très au sérieux leur devoir d'assistance dans ce domaine.» En 2021 déjà, les CFF ont fait examiner par un organe externe leurs processus de gestion de la discrimination, du mobbing et du harcèlement sexuel. Une enquête a maintenant été menée. «La réalisation d'une telle enquête n'est ni prescrite ni courante. Nous donnons ainsi des signes clairs.»
«Des résultats dans la moyenne suisse»
Tant la direction du groupe que le conseil d'administration des CFF se sont penchés sur les résultats et ont clairement exprimé la nécessité de tout entreprendre pour éviter de dépasser les limites. D'autres mesures de sensibilisation sont en cours d'élaboration et seront mises en œuvre prochainement.
Les CFF soulignent que les résultats se situent dans la moyenne suisse et correspondent aux résultats d'études internationales. Une comparaison directe est toutefois difficile, car les études consultées portaient sur un contexte ou une période différents. Une étude à l'échelle nationale sur l'ampleur du harcèlement sexuel au travail n'est prévue que pour la fin de cette année.
Les syndicats saluent le fait que les CFF aient de leur propre initiative commandé une enquête complète, y compris Esther Weber: «La plupart des collègues se comportent de manière irréprochable et le travail est en principe agréable.» Néanmoins, chaque incident est un incident de trop. Il lui manque pour l'instant des mesures concrètes sur la manière dont les CFF entendent réagir à l'enquête. «Il faut une meilleure visibilité pour montrer que de tels actes ne sont pas autorisés.»
De nombreux cas non déclarés
Les CFF communiquent: «Malgré tous nos efforts, nous ne pouvons pas exclure totalement que des cas isolés de dépassement de limites se produisent parmi plus de 35'000 collaborateurs dans plus de 150 professions.» Le fait est, écrit Markus Jordi, que de nombreux cas ne sont pas signalés.
En fait, les résultats de l'enquête se distinguent nettement des chiffres du dernier rapport annuel. Pour 2023, seuls 36 cas de harcèlement sexuel ont été signalés. Comme le sait Blick, au moins un cas a donné lieu à un licenciement cette année. Les CFF ne veulent pas communiquer de chiffres précis.
Le chef du personnel Markus Jordi: «Le nombre élevé de cas non déclarés est malheureusement aussi le reflet de la société. Certaines victimes craignent des conséquences négatives lorsqu'elles se manifestent. Cela ne doit pas être le cas. En tant que société, nous avons encore beaucoup à faire dans ce domaine.»