Trente-deux. C'est le nombre de parlementaires qui n'avaient pas été réélus lors des fédérales de 2019. Particulièrement touché, le Canton de Fribourg avait alors été frappé deux fois par la foudre.
Le conseiller aux États démocrate-chrétien Beat Vonlanthen perdait le siège historique de son parti. Dans le même temps, Jean-François Rime, cador de l'Union démocratique du centre (UDC) et président de la puissante Union suisse des arts et métiers (USAM), était éjecté du Conseil national. À la surprise générale.
Ce dimanche, lors des élections fédérales 2023, d'autres vont sans doute connaître la même mésaventure et auront besoin de répondre à cette question: comment se relever après une défaite, une déception, une déconfiture pareille?
Blick l'a posée à Jean-François Rime, qui a par ailleurs été deux fois candidat au Conseil fédéral. Président de la Commission de l'économie, l'entrepreneur savait alors se faire entendre, même en Suisse alémanique. Qu'a-t-il à dire aujourd'hui?
Jean-François Rime, vous étiez sans doute le perdant le plus connu des élections fédérales de 2019. Avez-vous un conseil à donner à celles et ceux qui vont se prendre une veste ce dimanche?
Parler de défaite est un grand mot, je parle plutôt de non-réélection. Mais je n'ai aucun conseil à donner, chaque situation est différente. Moi, j'avais fait quatre législatures, j'avais 69 ans et j'étais encore à la tête de mes trois entreprises (ndlr: il n'en est aujourd'hui «plus qu'administrateur») et président de l'USAM (ndlr: jusqu'en 2020). Je sais que cela a été beaucoup plus difficile pour Beat Vonlanthen que pour moi.
Mais tout de même, vous ne vous attendiez pas à devoir laisser votre siège au Vert Gerhard Andrey. Face aux caméras de la RTS, vous peiniez à cacher votre émotion.
Je ne m'y attendais pas du tout. Ma non-réélection avait été une surprise pour beaucoup de gens. J'avais fait 30'000 voix en 2015. Quatre ans plus tard, j'en ai fait 40% de moins.
Avec le recul, qu'avez-vous fait de faux?
Pierre-André Page (ndlr: son colistier en 2019, actuel conseiller national) avait dit à Christoph Blocher que je n'avais pas fait campagne. C'est vrai, j'avais fait moins de télé, mais j'avais fait campagne. J'avais d'ailleurs amené quelque 100'000 francs dans les caisses du parti. En 2019, c'était aussi une certaine défaite de l'UDC, qui avait vécu de belles années depuis 2003. En 2023, d'autres devraient connaître l'échec, si j'en crois les sondages.
Ce 20 octobre 2019, vous quittez le stamm de votre section sous les applaudissements. Et ensuite?
Mes enfants m'ont appelé, m'ont dit de rentrer à la maison. Ils avaient bien pensé que je n'étais pas très content et avait préparé un excellent souper et sorti de bonnes bouteilles.
Sur la table du souper, il y avait quoi?
Oh, je ne me souviens plus. Certainement des grillades.
Vous avez bu quoi?
Un de mes fils est un fanatique de vin. Comme je n'avais pas été réélu, on n'avait pas bu de vins suisses. Plutôt des bons Bordeaux, ou quelque chose comme ça!
Qu'est-ce qui s'est dit ce soir-là?
En famille, on ne parle pas tellement politique. À part lors des votations. Mes trois fils sont aussi UDC.
Le lendemain commençait votre nouvelle vie.
Oui, j'ai fait de l'ordre sur mon bureau et je suis passé à la suite. Quand on a fait de la politique et des affaires toute sa vie, on a forcément connu d'autres échecs.
Après 16 ans de Conseil national, à quel point votre bureau était-il encombré?
Il y avait des piles de documents, qu'on recevait avant les sessions parlementaires. Je suis de la vieille école, j'aime travailler sur papier. En plus, la scierie familiale livre du bois à des entreprises qui en produisent… Mais bon, moi, je ne gardais que ce qui m'intéressait. Au contraire de mon père (ndlr: conseiller national radical de 1983 à 1987), qui avait tout gardé.
Votre père avait conservé tous ses dossiers de conseiller national?
Oui. J'avais une grosse malle avec tous ses dossiers à l'intérieur. Il avait tout gardé.
Vous n'avez jamais ressenti un grand vide après ce dimanche noir?
Pas vraiment. Mais c'est vrai que mon agenda a un tout petit peu changé de physionomie (rires). J'avais été très actif pendant 16 ans, je crois que j'avais fait le tour du problème. Et je ne me sentais pas spécialement indispensable.
C'est un des avantages de la politique de milice, pouvoir plus facilement rebondir?
Je ne suis pas sûr que ce soit plus facile de retomber sur ses pattes. Après une non-réélection, il y en a qui demandent de l'aide à la Confédération (ndlr: six en 2019, pour un montant maximum de 2390 francs par mois, durant deux ans au plus). Et le problème pourrait s'aggraver à l'avenir.
C'est-à-dire?
En 2019, beaucoup de jeunes gens, de parfois moins de 30 ans, qui n'ont jamais travaillé de leur vie ont remporté un siège à Berne. Leur seul rêve, c'est d'entrer dans un Conseil d'État et de toucher entre 250'000 et 300'000 francs par an. On se demande ce qu'ils vont bien pouvoir faire à 45 ans…
Vos collègues parlementaires vous ont manqué ces quatre dernières années?
Non, parce que j'ai gardé des contacts, notamment au plan professionnel. Mais vous savez ce qu'on dit… Il y a une gradation. Dans la vie, on a des amis et des ennemis. Et le pire, ce sont les amis politiques!
Jean-François Rime, merci d'avoir répondu aux questions de Blick!
De rien. J'ai le temps, je n'ai rien d'autre à faire!