Vendredi, Ignazio Cassis annonçait l'adoption d'un mandat de négociations avec l'Union européenne. Après plusieurs modifications et adaptations, la Suisse présentait une nouvelle feuille de route pour fixer ses relations avec l'UE.
Loin de faire l'unanimité, cette nouvelle a rapidement suscité des critiques, notamment du côté de l'UDC. Le parti lancera mardi une nouvelle campagne contre ce projet, qu'il décrit ainsi: «Avec le mandat de négociation, le Conseil fédéral approuve la soumission totale de la Suisse à l’UE.» Marco Chiesa, président de l'UDC pour deux semaines encore, critique Ingazio Cassis et son rapprochement avec Bruxelles. Interview.
Monsieur Chiesa, avez-vous déjà remercié le Conseil fédéral pour le mandat européen?
Non, pourquoi?
Car il vous offre un nouveau thème que vous pouvez exploiter à merveille. Mardi, l'UDC lancera la campagne contre les négociations avec Bruxelles.
Ce rattachement institutionnel à l'UE représente un énorme danger pour la Suisse.
Que craignez-vous?
L'identité et l'indépendance de la Suisse sont en jeu. Le droit de l'UE devrait à l'avenir s'appliquer automatiquement en Suisse. Les juges de la Cour de justice européenne décideront de ce qui est valable en Suisse. Nous devrions verser des milliards à Bruxelles. Et la population suisse n'aurait plus rien à dire.
L'UE est de loin le principal partenaire commercial de la Suisse. Le Tessin ou des régions comme Genève ou Bâle profitent des frontaliers.
Les deux parties sont gagnantes. Je n'ai rien contre les relations économiques étroites. Mais je suis contre le fait que des citoyens de l'UE viennent en Suisse pour piller nos systèmes sociaux.
Votre canton, le Tessin, profite particulièrement des frontaliers. Vos maisons de retraite et vos hôtels sont tributaires d'un personnel bon marché.
Nous avons de plus en plus de frontaliers. Ils gagnent bien leur vie en Suisse. Mais ils encombrent nos routes et polluent l'environnement. En fin de compte, ils font baisser les salaires. Le pouvoir d'achat n'a pas augmenté au Tessin. On trouve toujours un Italien prêt à travailler pour moins d'argent.
Selon les associations économiques, la Suisse profite plus de l'UE qu'elle ne lui coûte. Et le domaine scientifique souffre de la délimitation des programmes de recherche de l'UE et a du mal à recruter. Même votre collègue de parti, le président du Fonds national suisse Jürg Stahl, le dit. Que lui répondez-vous?
Bruxelles nous fait du chantage. Il est injuste que nous ne puissions pas participer à «Horizon-Europe» (ndlr: Horizon Europe est le programme de financement européen dédié à la recherche et à l'innovation) mais que des pays qui n'ont pas de relations étroites avec l'UE puissent le faire. Je salue le fait que le conseiller fédéral Guy Parmelin mène des discussions avec la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et l'Asie. C'est là que se trouvent les meilleures universités du monde.
En cas de litige, une commission dite mixte doit décider, avec la participation de la Suisse. Pourquoi vous sentez-vous malgré tout victime d'un chantage?
Ce soi-disant tribunal arbitral est purement décoratif. Finalement, c'est la Cour de justice européenne qui décide, et elle est contraignante. C'est donc la partie adverse qui fournit les juges. C'est la fin de la Suisse telle que nous la connaissons et l'aimons. Nous avons une démocratie directe comme il n'en existe pas d'autre en Europe.
Citez-nous un danger concret émanant de Bruxelles.
La Deutsche Bahn provoque partout le chaos avec des grèves et des retards. Mais Bruxelles veut que nous ouvrions le réseau ferroviaire suisse aux opérateurs étrangers.
Vous avez un puissant compagnon de route: le patron des syndicats Pierre-Yves Maillard. Avez-vous déjà élaboré ensemble un plan de bataille?
Nous allons certainement nous concerter avec Monsieur Maillard. Mais il est favorable à un accord avec Bruxelles, alors que nous ne voulons pas d'accord du tout. Pierre-Yves Maillard parle de secteurs. Pour nous, il s'agit des valeurs de la Suisse.
Les présidents du Centre et du PLR, Gerhard Pfister et Thierry Burkart, sont considérés comme critiques vis-à-vis d'une solution institutionnelle. Avez-vous l'espoir que ces deux partis se rallient à votre camp?
Je perçois le Centre et le PLR comme très indécis. Et je suis curieux de voir comment ils se positionneront à la fin.
Il y a aussi une question importante de politique nationale, concernant les règles du jeu...
Je suis convaincu que le traité avec Bruxelles nécessite une majorité du peuple et des cantons.
Beaucoup ne sont pas de cet avis. La rectrice de l'Université de Fribourg, Astrid Epiney, estime qu'une majorité des cantons est anticonstitutionnelle.
D'autres professeurs contredisent Madame Epiney. Pour l'accord de libre-échange et l'adhésion à l'EEE (ndlr: Espace économique européen), les cantons ont également été consultés. Encore une fois, l'accord avec l'UE détruirait notre système étatique performant.
En 1992, l'UDC avait un allié contre l'EEE: les Vert-e-s. Sur quels partenaires misez-vous cette fois-ci?
Tout d'abord sur le peuple. Nous ferons tout pour mobiliser la base. Ensuite, comme je l'ai dit, nous allons bien sûr échanger avec les syndicats et chercher des points de convergence.
Lors de la campagne de votation autour de la 13e rente AVS, une lettre d'anciens conseillers fédéraux n'a pas été bien accueillie. Malgré tout, allez-vous parier sur d'anciens conseillers fédéraux comme Ueli Maurer?
Ueli Maurer est un homme brillant. Nous avons besoin de son soutien et j'espère qu'il s'engagera.
Ignazio Cassis est une force motrice pour ce rapprochement avec l'UE. Est-il le bon ministre des Affaires étrangères pour négocier avec Bruxelles?
Je suis déçu par Ignazio Cassis. Lors de son entrée en fonction, il avait parlé d'un bouton de réinitialisation. A la place, nous avons eu un «Game over». Ignazio Cassis doit être stoppé. Nous ne voulons pas nous soumettre à Bruxelles.
Lors de son élection au Conseil fédéral en 2017, Ignazio Cassis a bénéficié de votre soutien. Lui reprochez-vous de vous avoir trahi?
Il n'a pas appuyé sur le bouton «reset». A cette aune, il n'a pas tenu sa parole.
Le conseiller fédéral PS Alain Berset a beaucoup écouté les syndicats et était critique envers Bruxelles. Son successeur Beat Jans est considéré comme un partisan de l'Europe. Alain Berset vous manque-t-il?
Tous les conseillers fédéraux qui veulent empêcher le traité de soumission avec l'UE me manquent.
Vous êtes président de l'UDC, pour deux semaines encore. Quel a été votre moment fort pendant ces trois ans et demi?
Notre feu de rappel à Morschach a été très important pour moi. Le Conseil fédéral avait décidé en 2021 de ne pas signer un accord institutionnel avec l'UE. Nous avons allumé un grand feu, car nous savions qu'une bataille importante avait été gagnée, mais que nous devions rester vigilants.
Qu'est-ce qui vous manquera dans cette fonction?
La bonne collaboration avec les autres membres de la direction du parti. J'ai apprécié chaque moment, et même les moments de confrontation. Cette période a été très enrichissante pour moi.