Il est piquant d’observer les raisons avancées par les Vert-e-s pour expliquer leurs défaites à travers le temps. En 2011, les écologistes perdaient cinq élus au National (-1,8%): leur campagne trop monothématique était pointée du doigt.
En 2015, rebelote: quatre fauteuils en moins. La crise migratoire et le manque de relève sont soulignés. Après le boom de 2019 (13,2% des suffrages totaux, 17 sièges supplémentaires), la dégringolade de ce dimanche (-3,8%, 5 sièges en moins) est à nouveau expliquée par la conjoncture et par la difficulté pour le parti au tournesol de se faire entendre sur le pouvoir d’achat.
Dans le détail, les Vert-e-s ont perdu 2% de leur électorat de 2019 au profit du Parti socialiste (PS), alors que 0,6% ne s’est pas rendu aux urnes du tout. L’Union démocratique du centre (UDC) récupère quant à elle 0,5%, les Vert’libéraux 0,4% et Le Centre 0,3%.
1% de l’électorat vert de 2019 est anti-woke
Parmi les raisons évoquées par celles et ceux qui ont tourné les talons, 27% disent que c’est à cause des activistes climatiques, relève un sondage GFS, réalisé pour la SSR. Plus d’un quart (26%) répond que les débats sur les questions de genre et le «wokisme» (terme péjoratif utilisé pour faire référence au militantisme anti-discrimination), a encore relevé le journaliste Philippe Revaz dans le «19h30» de la RTS, lundi soir. Ces pourcentages ne s’additionnent pas forcément puisqu’ils résultent d’un questionnaire à choix multiples.
Qu’en pensent les dinosaures du parti? Que faudra-t-il faire différemment d’ici 2027? Blick a approché trois anciens élus fédéraux et une ancienne conseillère nationale. Voici leurs prises de position.
Les Vert-e-s auraient-ils dû condamner clairement les activistes climatiques?
Robert Cramer (ex-conseiller aux Etats et ancien conseiller d’Etat genevois): «Jamais je ne m’amuserai à les condamner. J’ai fait des choses comparables, mais, dans les années 80, dès que je suis entré en politique, j’ai arrêté les manifestations non autorisées. J’ai choisi d’évoluer dans le cadre légal parce que je considère que c’est nécessaire et plus efficace. On ne peut pas en même temps violer des lois et demander aux gens de respecter celles que l’on édicte.»
Francine John-Calame (ex-conseillère nationale neuchâteloise): «J’espère au moins que ceux qui se sont collé la main sont allés voter! Ça ne nous a pas rendu service. Je ne m’en serais pas distanciée, mais je serais allé les encourager à s’engager en politique.»
Daniel Brélaz (ex-conseiller national et ancien syndic de Lausanne): «Les Vert-e-s n’ont jamais encouragé les actes illégaux, mais la droite nous les a régulièrement attribués pour nuire aux Vert-e-s. Le parti était embêté: il n’adhérait pas à la méthode, mais était d’accord sur le fond. Si on avait condamné, une autre partie de notre électorat se serait détournée de nous. Aujourd’hui, les membres de Renovate Switzerland ne se collent plus la main au bitume, mais font des marches lentes, manifestations plus acceptables pour la population. Il faut espérer qu’ils ne reviennent pas à leurs vieilles méthodes!»
Fernand Cuche (ex-conseiller national et ancien conseiller d’Etat neuchâtelois): «Non. J’ai eu contact avec ces jeunes et je les comprends. Ce sont des lanceurs d’alerte et ils agissent face à l’inertie des pouvoirs publics dans la transition écologique. J’ai en revanche toujours soutenu un engagement à visage découvert. Je note aussi que les Vert’libéraux, qui se sont distanciés des actions illégales, ont aussi perdu des plumes. Je pense que les déceptions face à l’inaction du Parlement et le climat de peur lié à la période actuelle ont joué un plus grand rôle.»
Les Vert-e-s se sont-ils trop occupés de féminisme, de racisme, d’homosexualité et de transidentité?
Robert Cramer: «Je peine à adhérer à l’explication selon laquelle les Vert-e-s ont perdu des voix à cause de l’activisme et à la défense des minorités. C’est de la foutaise! On a tellement répété que les Vert-e-s étaient wokes que c’est la réponse que les gens donnent quand on leur pose une question à choix multiples.»
«Les Vert’libéraux ont chuté de 16 à 10 sièges alors qu’on ne peut pas leur reprocher de se coller la main sur la route ou d’être adeptes du wokisme, fait encore remarquer l'ex-sénateur. Autre exemple: il y a quelques semaines, au Luxembourg, les écologistes ont perdu deux tiers de leur électorat. Pour connaître un peu le Luxembourg, ce n’est pas un endroit où les manifestations et le mouvement woke font rage.»
Francine John-Calame: «Qu’on soit clair: on doit continuer à se battre contre les discriminations. Mais je pense que nous avons, par exemple, trop parlé de transidentité. On ne devrait pas réduire les gens à leur identité, mais plutôt mettre en avant leurs compétences.»
Daniel Brélaz: «À mon avis, le féminisme n’a joué aucun rôle, parce que c’est universel. En revanche, il est vrai que les Vert-e-s se sont déployés sur des causes un peu marginales dans la société, qui ont tendance à déplaire fortement aux conservateurs. Mais, ces causes sont justes. Vous savez, aux États-Unis, les élus qui soutenaient Martin Luther King avaient aussi tendance à perdre des voix. Et aujourd’hui, la Géorgie est même démocrate! Les Vert-e-s privilégient toujours une vision à long terme, même si certaines prises de position peuvent leur nuire à court terme.»
Fernand Cuche: «J’adhère pleinement à la lutte féministe. La question de la transidentité est d’actualité et importante, des jeunes sont en souffrance. Si les Vert-e-s ne s’intéressaient pas aux questions de société, on leur reprocherait de ne parler que du climat, c’est arrivé par le passé.»
La victoire de 2019, une anomalie pour les Vert-e-s?
Robert Cramer: «Non. En 2007, nous avions 20 conseillers nationaux et deux conseillers aux États. En 2023, nous avons 23 sièges à la chambre du peuple et pourrions avoir quatre ou cinq sénateurs. Ce qui aurait été inimaginable il y a encore dix ans. Avec les 23 sièges de cette année, nous devrions entrer dans une dynamique où nous oscillerons entre 20 et 30 fauteuils en moyenne.»
Francine John-Calame: «Oui. Si on fait abstraction du pic de 2019, on a toujours eu autour de 20 élus, ou moins.»
Daniel Brélaz: «En 2019, nous avons bénéficié de circonstances extrêmement favorables en termes électoraux. Mais ce n’est pas une anomalie. Depuis la création du parti, la tendance générale est à la hausse. Il est normal qu’il y ait des fluctuations. D’ailleurs, les résultats de 2023 sont les deuxièmes meilleurs de notre histoire. Est-ce que cette tendance à la hausse va se confirmer, à l’avenir? Je ne suis pas futurologue!»
Fernand Cuche: «En 2019, nous avons profité d’une prise de conscience importante liée à un contexte climatique anxiogène, qui s’est traduite dans les urnes. En 2023, il nous a été difficile de faire passer notre message concernant les nécessités vitales des plus modestes et de la classe moyenne inférieure, qui peinent à boucler leur fin de mois.»
Que faire pour regagner des voix en 2027?
Robert Cramer: «Je pense que les Vert-e-s ont perdu des sièges parce que les solutions pour lutter contre les changements climatiques ne sont pas agréables à entendre. Au fond, nous disons que la fête de la consommation est finie. Nous devons maintenant présenter un projet audible, qui peut susciter l’adhésion.»
«Les interdictions, ça ne fonctionne pas, affirme l'avocat. Si je caricature à l’extrême, ce n’est pas en interdisant les voitures que nous parviendrons à construire une société durable. Mais plutôt en multipliant les pistes cyclables et en expliquant que derrière un volant, on devient gros et laid alors que sur une bicyclette, on reste fit et beau! Dans 'sobriété heureuse', il y a la notion de bonheur, j’y crois beaucoup. Il faut rendre l’avenir désirable.»
Francine John-Calame: «Il faut enseigner la politique. On assiste à un recul de la démocratie. En Europe, c’est une démocratie d’élites, ce qui participe à la montée de l’extrême droite. Et il faut redire que le projet écologiste n’a pas d’influence sur les budgets de la majorité des ménages et qu’on peut vivre sobrement et heureux.»
Daniel Brélaz: «On verra quelle est l’actualité dans quatre ans. En 2023, un tas de gens qui s’étaient abstenus en 2019 sont revenus et ont voté pour l’UDC. D’autre part, un certain nombre d’électeurs oscillent entre le PS et les Vert-e-s, en fonction des thèmes. Cette année, l’inflation et la hausse des primes d’assurance maladie ont favorisé le PS. C’est à mon avis la raison principale de notre recul par rapport à 2019.»
Fernand Cuche: «Le choix des mots est important. Alors que la conjoncture est déstabilisante, comment faire pour faire passer un message sur la transition écologie qui soit porteur d’espoir? Les années à venir seront l’occasion pour les Vert-e-s de s’engager davantage pour une économie circulaire, qui n’épuise pas les ressources.»
«Je souhaite que nous regagnions cinq à sept sièges en 2027, mais il ne faut pas en faire un objectif principal, tempère l'agriculteur. Je souhaite surtout une prise de conscience dans les autres partis et la mise en place d’un effort commun.»