Ce fut un triomphe pour la ministre de l'Énergie de l'époque, Simonetta Sommaruga. Lors d'une table ronde qui s'est tenue en décembre 2021, les entreprises énergétiques, les cantons et les associations de protection de l'environnement se mettaient d'accord sur 15 projets hydroélectriques qui devaient être construits le plus rapidement possible. L'initiative n'en est pas restée là, puisque d'autres projets sont également dans le pipeline. Le Parlement se penchera d'ailleurs sur cette stratégie cet automne.
Alors que le défi de l'approvisionnement en énergie est colossal et que la Suisse dispose d'importantes réserves d'eau, la stratégie semble sensée. Elle fait pourtant grincer des dents Kaspar Schuler, ancien chef de Greenpeace et directeur de la Commission internationale pour la protection des Alpes (CIPRA). «La manière dont nous intervenons dans l'écologie pour l'énergie hydraulique est unique au monde, alors que 95% du potentiel hydroélectrique suisse est déjà épuisé», regrette-t-il.
Kaspar Schuler est de plus dérangé par la manière dont la Suisse traite ses pays voisins situés en aval. «La Suisse et l'Autriche disposent de robinets centraux d'Europe. Ils décident quand ils libèrent leur eau et où ils la retiennent.» Pour pouvoir produire encore plus d'électricité en hiver, la Suisse veut retenir plus d'eau dans les Alpes en été. L'eau ainsi économisée sera transformée en électricité en hiver.
Une Suisse égoïste?
«Si l'on construit davantage d'énergie hydraulique, la Suisse sera encore plus à la manœuvre. Elle peut décider de la quantité d'eau qu'elle laisse couler à l'étranger en été», poursuit Kaspar Schuler. Or, l'Italie et la France dépendent fortement de la Suisse pour laisser passer l'eau en été afin de lutter contre la sécheresse. «Mais la Suisse regarde d'abord ses intérêts et nuit ainsi à ses pays voisins.»
En effet, l'année dernière, le nord de l'Italie a mendié de l'eau suisse. Le Pô était presque asséché, les agriculteurs italiens craignaient pour leurs récoltes. Meuccio Berselli, chef de l'organisation qui contrôle les eaux de la plaine du Pô, avait lancé un appel à la Suisse sur la RTS: «Nous demandons à nos amis suisses de soutenir le niveau du lac Majeur. Cela doit se faire par le biais des barrages dans les Alpes.» À l'époque, le Tessin, inflexible, avait gardé l'eau pour ses propres besoins, étant donné qu'il souffrait également de la sécheresse.
Des répercussions «faibles»
L'Office fédéral de l'énergie ne voit pour l'instant aucune nécessité d'agir. «Si les 15 centrales hydroélectriques à accumulation de la Table ronde sur l'énergie hydraulique étaient réalisées, les débits du Rhône et du Rhin seraient en moyenne inférieurs d'un petit pourcentage à un chiffre pendant les mois d'été.» Et l'OFEN de relativiser: l'année dernière, même l'eau provenant du Tessin n'aurait pas pu aider les rivières italiennes. Les lacs d'accumulation tessinois n'auraient permis de compenser le déficit que durant deux semaines.
«Ensuite, les lacs d'accumulation auraient été vides», poursuit l'OFEN. Et ils n'auraient alors pas pu être remplis aussi rapidement. Cela aurait signifié une production hivernale plus faible et un besoin d'importation proportionnellement plus élevé. «Toute l'eau que nous rejetons en été nous manque en hiver et doit être compensée par des importations. La situation tendue de l'approvisionnement en énergie pendant l'hiver dernier aurait été encore plus grave.»
Une experte en doute
Manuela Brunner, chercheuse à l'EPFZ, estime, elle aussi, que la rétention saisonnière d'eau pour la production d'électricité en hiver a une influence plutôt faible sur la sécheresse à l'étranger. «La quantité de stockage est tout simplement trop petite pour cela et les réservoirs ne sont souvent pas non plus reliés aux endroits où la sécheresse doit être combattue.»
La CIPRA de Kaspar Schuler n'en démord pas. Elle pense même que la Suisse et d'autres pays violent la Convention alpine internationale en développant les énergies renouvelables. Ce traité de droit international, signé par notre pays et sept autres États alpins ainsi que par l'Union européenne, vise à garantir l'équilibre entre protection et exploitation dans les régions de montagne. L'organisation de protection a donc déposé des questions auprès du comité de vérification. Mais des années devraient s'écouler avant que cet examen ne soit achevé.