Le Conseil fédéral a peut-être un problème
Les critiques de l'ex-chef de l'armée torpilleront-elles l'achat des avions de combat?

Alors que le choix du modèle des nouveaux avions de combat est imminent, l'ex-chef de l'armée André Blattmann s'est interrogé publiquement sur le bien-fondé de l'acquisition de nouveaux jets. Les partisans de cet achat doivent-ils craindre le pire?
Publié: 22.06.2021 à 14:09 heures
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Dernière mise à jour: 22.06.2021 à 14:38 heures
Daniel Ballmer

Le conseiller national UDC Thomas Hurter ne cache pas sa frustration: «Ça me dérange que d’anciens chefs d’armée, qui ont tiré leur salaire de l’armée toute leur vie et seraient tenus à la loyauté, s’immiscent dans la décision concernant les avions de combat et lui nuisent», éructe-t-il. D’autres politiciens du camp bourgeois parlent d’une «manœuvre de perturbation ciblée».

La raison de la colère? Un document de l’ancien chef de l’armée André Blattmann, qui a été rendu public lundi. Dans ce dernier, l’ancien commandant de corps d’armée exprime des critiques fondamentales sur l’acquisition d’avions de combat, comme le rapporte la «NZZ». Et ce quelques jours avant que le Conseil fédéral, autour de la ministre de la Défense Viola Amherd, ne décide quel modèle la Suisse achètera parmi les quatre types d’avions de combat disponibles.

«Cela retarde le Conseil fédéral»

Ce document est une contribution à la discussion, mais il arrive trop tard comme la population s’est déjà prononcée sur le principe. «Il n’apporte donc que des problèmes inutiles», craint le conseiller aux États PLR Thierry Burkart, qui avait fait campagne pour le «Oui» lors du vote sur les avions de chasse l’automne dernier. «À tout le moins, un tel document retarde le Conseil fédéral», commente le conseiller national UDC Thomas Hurter. «Certains membres ne veulent pas de nouveaux jets, et d’autres risquent d’être déstabilisés. Le processus de décision pourrait devenir chaotique.»

Dans ce document, André Blattmann arrive à la conclusion que la Suisse n’a pas besoin de nouveaux avions de combat. Ceux-ci, dit-il, visent un adversaire «qui n’existe pratiquement plus aujourd’hui». L’ancien chef de l’armée estime qu’un large spectre de défense aérienne basé au sol, c’est-à-dire des missiles air-sol, suffirait à se défendre. Ces derniers sont aussi beaucoup moins chers à entretenir que les avions de chasse.

André Blattmann met en garde contre le blocage des investissements

Mais il ne conclut pas forcément qu’il ne faut pas d’avions: au lieu des 30 à 40 jets prévus, 20 suffiraient, selon André Blattmann. Le projet actuel de six milliards pourrait bloquer d’autres investissements de l’armée pendant des années en raison des coûts d’exploitation, prévient-il. Il ajoute qu’il ne veut pas renforcer l’opposition contre l’acquisition des jets, mais que le Conseil fédéral devrait mieux justifier cet achat: «Si nous ne pouvons pas expliquer aux citoyens ordinaires pourquoi nous avons besoin de cet avion, nous subirons une défaite cuisante lors de la prochaine votation.»

Ces critiques apportent de l’eau au moulin des opposants aux avions de combat, qui sont ravis: «Il n’y a vraiment pas de meilleur argument qu’un ancien chef de l’armée qui pense que la Suisse ne fait que gaspiller l’argent des contribuables», écrit sur Twitter Lewin Lempert, ancien secrétaire du Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA).

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Le PS se réjouit également. Roger Nordmann écrit sur Twitter que le rapport de l’ex-chef de l’armée «confirme leur analyse de novembre 2019 et que l’achat de l’avion le plus coûteux serait «grotesque». Le PS a toujours souligné que l’une des plus grandes menaces à l’avenir viendrait des drones, contre lesquels les avions de chasse sont impuissants. Il espère donc vivement que ce document n’arrivera pas trop tard.

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L’ancien chef de l’armée regrette cette agitation

Mais André Blattmann est très mal à l’aise face à toute cette agitation. «Le document n’aurait pas dû être rendu public», assure l’ex-chef d’armée à Blick. Il était destiné aux personnes «dans le camp civil» qui n’avaient pas eu accès à des informations complètes. «Je suis aussi d’avis que les anciens doivent rester à l’écart, et je m’en tiendrai à ça.»

Il regrette profondément que son document soit interprété contre l’achat des avions de combat. «Je me suis entièrement engagé pour la Suisse et son armée», souligne-t-il. Mais il maintient ses réserves: «Je crains que d’autres investissements soient bloqués par la suite à cause du coût élevé des avions.» Ce qui ne signifierait pas pour autant qu’il soit fondamentalement opposé aux nouveaux avions.

Les politiciens du camp bourgeois sont en colère

Pour les politiciens du camp bourgeois, ce document est tombé entre de mauvaises mains. «Cet argumentaire est assez peu fondé», déclare Thierry Burkart (PLR), membre du Conseil des États. «Blattmann reconnaît que la défense aérienne basée au sol n’est pas une alternative: elle ne constitue qu’un dernier recours. Le seul choix possible pour la défense est de tirer ou de ne pas tirer.» Les avions de chasse, en revanche, auraient des options complètement différentes.

Les problèmes de financement sont également remis en question. «J’ai confiance en le département de la Défense et ne crains pas que les finances de l’armée soient insuffisantes pour le reste», clarifie le conseiller aux États PLR Josef Dittli.

Le conseiller national UDC Thomas Hurter est plus dur. «Pour moi, cela ressemble à un règlement de comptes avec le DDPS, parce qu’un projet de Blattmann a été suspendu sous la présidence du conseiller fédéral Guy Parmelin». De plus, ce dernier était à la tête des forces armées lorsque le peuple a refusé le Gripen. À l’époque, il défendait encore farouchement son acquisition. Avec les mêmes arguments que ses successeurs au ministère de la Défense aujourd’hui.

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