Interview exclusive de Guy Parmelin
«La nourriture coûtera de plus en plus cher»

Inflation galopante, guerre en Ukraine, critiques sur le rôle de la Suisse vis-à-vis des oligarques russes: Guy Parmelin est sous pression. Dans un entretien accordé à Blick, le ministre de l'Économie fait part de ses analyses sur la situation actuelle.
Publié: 05.06.2022 à 11:32 heures
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Dernière mise à jour: 05.06.2022 à 14:07 heures
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Pour lutter contre l'inflation, les employeurs et les syndicats doivent négocier des augmentations de salaire entre eux, affirme le conseiller fédéral UDC Guy Parmelin.
Photo: Thomas Meier
Interview: Simon Marti

La pression est forte sur les prix, mais l'inflation reste relativement basse (2,9%) en Suisse en comparaison de l'Allemagne (8%) par exemple...
Guy Parmelin: D'un point de vue global, l'inflation s'accroît notamment parce que les prix de l'énergie augmentent. Heureusement, ces coûts sont moindres pour la Suisse par rapport à d'autres pays. Et la Banque nationale suisse (BNS) dispose d'instruments pour freiner l'inflation. Mais nous devons suivre l'évolution de la situation de près.

Est-ce que cela suffira?
Sur les prix de l'énergie, la Confédération n'a qu'une influence limitée. Ce que nous pouvons tous faire, en revanche, c'est utiliser les ressources énergétiques avec parcimonie. Dans ce secteur, la Suisse est sur une bonne voie. Notre industrie est très efficace.

Si l'on résume, il faudra composer avec l'inflation...
La meilleure solution pour tout le monde serait bien sûr que la guerre en Ukraine s'arrête! Mais il est tout à fait possible que, avec les nouvelles sanctions, les prix de l'énergie augmentent encore plus. On peut certes essayer de diversifier notre approvisionnement énergétique, mais personne en Europe ne dispose actuellement d'une solution toute prête.

L'UE a enfin mis en place un embargo pétrolier contre la Russie, mais elle a encore beaucoup de mal à le faire pour le gaz. L'Europe ne devrait-elle pas, au contraire, décider rapidement de sanctions sévères dans le secteur de l'énergie, afin de véritablement frapper l'économie russe?
La vraie question est la suivante: ces sanctions sont-elles efficaces? Cela dépend en grande partie de leur application sans faille, et de leur utilisation en combinaison avec d'autres instruments politiques, diplomatiques ou juridiques. Lorsque des Etats prennent des sanctions de manière autonome, cela a souvent moins d'impact que des sanctions largement soutenues au niveau international. Dans le cas précis, si l'objectif des sanctions est de mettre fin le plus rapidement possible à la guerre en Ukraine, je constate que cet objectif n'a, à ce jour, pas été atteint.

Vous pensez donc que ces mesures ne sont pas efficaces?
Il est difficile de répondre à cette question. Si la Russie exporte moins de pétrole vers l'Occident, mais vend une partie de cette quantité à d'autres pays à des prix plus élevés, le résultat est le même pour Moscou.

Pensez-vous que les sanctions soient justes?
La Suisse voulait, et même devait, réagir. Cette violation flagrante du droit international — l'invasion d'un pays souverain — est absolument inacceptable. Les États-Unis et l'Union européenne ont décidé de sanctions, et la Suisse s'est jointe à l'UE pour apporter sa contribution. Si des sanctions sont mises en places, il est important qu'elles soient largement soutenues et efficaces.

Si les prix de l'énergie continuent d'augmenter, peut-on imaginer que la Confédération envisage des mesures de soutien pour certaines branches en Suisse, comme pendant la pandémie?
Nous n'en sommes pas là. De telles mesures doivent être ciblées. Il se peut que cela soit nécessaire, mais ce n'est pas encore le moment.

Mais le renchérissement frappe déjà durement les ménages aux revenus modestes.
Oui, le Conseil fédéral est conscient du problème. Les partenaires sociaux doivent désormais négocier des augmentations de salaire. L'État ne doit pas anticiper ces discussions, qui se font d'abord entre les employeurs et les syndicats. Mais, le cas échéant, la Confédération peut apporter des corrections, par exemple en ce qui concerne les prestations complémentaires ou d'autres prestations pour les ménages à revenus modestes.

On dit de l'Ukraine qu'elle est le grenier de l'Europe. Aujourd'hui, la guerre de Poutine y bloque les exportations de denrées alimentaires. Face à cela, l'agriculture suisse doit-elle augmenter sa production?
Nous importons 45% de notre nourriture. Nous produisons par exemple suffisamment de lait, mais seulement un quart de la consommation d'huile de tournesol, et environ 80% de la viande. Nous n'achetons pas beaucoup en Russie ou en Ukraine, l'approvisionnement de la Suisse en denrées alimentaires est donc actuellement assuré. Mais, indirectement, nous sommes certainement touchés. La guerre fait grimper les prix sur le marché des céréales.

Néanmoins, cela affecte d'autres pays bien plus durement que la Suisse...
Oui, notamment les pays d'Afrique du Nord et du Proche-Orient. Les crises alimentaires peuvent déstabiliser ces régions, déclencher de nouveaux conflits et des vagues de réfugiés. L'insécurité globale nous concerne tous.

Avant même que la guerre n'éclate, le Programme alimentaire mondial de l'ONU avait prévenu que l'année serait extrêmement difficile, avec des pertes de récoltes en Chine et en Inde, dues au climat. Ne devons-nous pas mieux nous préparer à de telles pénuries?
Bien sûr que oui! Mais vous ne pouvez pas tout changer du jour au lendemain. Vous pouvez par exemple cultiver davantage de tournesols, mais cela ne vous servira pas à grand-chose si les presses à huile font défaut. Heureusement, une nouvelle usine de pressage sera mise en service en 2023.


Les pénuries ne se limitent pas seulement à l'huile de tournesol...
Je suis d'accord. Cela dit, nous sommes bien préparés avec les réserves obligatoires. Avant la crise, le Conseil fédéral avait déjà décidé de constituer des réserves de semences de colza. Il faut aussi prendre en compte les consommateurs. Supposons que la Suisse veuille augmenter son taux d'auto-approvisionnement et mise par exemple davantage sur les betteraves sucrières. Est-ce que les gens seraient prêts à ne manger que ça en grandes quantités?

L'on pourrait cependant cultiver plus d'aliments végétaux, et moins de fourrage pour la production de viande.
Pour cela aussi, il faudrait que les consommateurs le veuillent d'abord. Sinon, nous devrions importer plus de viande, et il y aurait des excédents de produits végétaux. De plus, la Suisse est un pays alpin particulièrement adapté à la production animale. Notre agriculture est efficace: elle produit ce que les gens veulent manger. Ce qu'elle ne peut pas produire, nous l'importons. Et c'est précisément cela qui devient globalement plus cher.

Est-ce une nouvelle réalité à laquelle nous devons nous habituer?
Oui, probablement. Non seulement les aliments, mais aussi leur emballage vont encore renchérir. C'est pourquoi nous avons lancé, en avril, une campagne contre le gaspillage alimentaire. Nous devons tous prendre davantage soin de notre nourriture.

C'est une cause qui vous tient à cœur personnellement?
Ma mère m'a toujours dit que je pouvais manger autant que je le voulais, mais que rien ne devait être jeté de mon assiette. Je fais attention. Et je ne mange pas toujours la même chose. Il y a toujours cette polémique sur la viande... Il n'est pas nécessaire de manger trois steaks par jour, ou de la charcuterie du matin au soir. J'aime bien ces aliments, mais leur consommation excessive n'est pas bonne pour la santé.

À l'échelle mondiale aussi, la conjoncture de l'approvisionnement serait meilleure si les gens mangeaient moins de viande. Surtout dans des pays comme la Suisse, où l'on en mange quand même beaucoup...
En comparaison internationale, c'est à relativiser. La Chine mange de plus en plus de viande, et ne changera guère cette habitude simplement parce que nous le souhaitons. La consommation mondiale de viande augmente, et continuera d'augmenter.

C'est toujours la même rhétorique: reporter la faute sur les autres, comme dans le cas du réchauffement climatique. Parce que certains font pire, cela veut dire que nous ne devons rien changer?
Non, ce n'est pas ce que je veux dire. On peut informer les gens. Ce que l'on ne peut certainement pas faire, en revanche, c'est leur interdire de manger de la viande. À part si l'on fait partie des Verts genevois (ndlr: ils ont voté une interdiction de consommer de la viande lorsqu'ils représentent le parti)...

Pour l'UDC, c'est un peu l'inverse: pas de meeting sans saucisse.
Je ne mange pas des saucisses tous les jours (rires). Ma femme me surveille. Mais plus sérieusement, c'est pourtant simple: manger une entrecôte, est un plaisir, mais ce n'est plus le cas si on en mange tous les soirs. Pour la fondue, c'est pareil. Et un risotto aux asperges, c'est tout aussi bon! Au final, ce qui importe, c'est que c'est à chacun de décider. Je ne vais certainement pas dire aux gens quoi manger.

Votre secrétariat d'Etat à l'économie, le Seco, fait actuellement l'objet d'une attention particulière, car il est chargé d'appliquer les sanctions contre la Russie. Le «Tages Anzeiger» a révélé qu'un oligarque russe sanctionné avait cédé son groupe à sa femme, et que le Seco avait accepté cette manœuvre, de manière transparente. Vous vous opposez donc bel et bien aux sanctions?
Certainement pas. Le Seco applique la loi, et rien d'autre.

Comment est-il possible que l'Occident «sanctionne» de fait des oligarques, mais que ces derniers finissent par plutôt bien s'en sortir — à l'image du cas évoqué précédemment?
Stop, je ne suis pas d'accord. Nous sommes un État de droit. Nous avons une loi. Celle-ci nous dicte ce que nous pouvons faire et ce que nous ne pouvons pas faire. Nous reprenons les sanctions de l'UE, et les appliquons. Et je ne peux que constater que l'UE a d'abord sanctionné uniquement Andreï Melnitchenko. Ce n'est que maintenant qu'elle a ajouté son épouse à la liste. Il est également intéressant de relever que les États-Unis n'ont, jusqu'à présent, pas du tout sanctionné le couple Melnitchenko. L'entreprise dont nous parlons, Eurochem, n'y est pas sanctionnée non plus. Et elle est l'un des principaux producteurs d'engrais au monde. Les engrais sont essentiels pour l'agriculture et donc pour notre alimentation, en particulier aux États-Unis et dans les pays pauvres.

Reste que la mise en œuvre des sanctions a été lente. Au point que le Parlement veuille enquêter sur ce processus.
Il est tout à fait normal que le Parlement procède à un contrôle de la situation. Nous n'avons pas à rougir de la mise en œuvre des sanctions. L'UE nous confirme que la Suisse fait du bon travail dans ce domaine.

La Suisse n'a donc absolument pas profité du fait que ces messieurs se sentent bien à leur aise dans nos contrées depuis des décennies?
Il y a beaucoup plus de ces personnes dans d'autres pays qu'en Suisse. Quelques-uns sont ici, c'est ainsi, c'est pourquoi certaines fortunes sont bloquées.

Le Seco examine également les exportations de matériel de guerre. Cette semaine, nous avons appris que la Confédération interdisait au Danemark de transmettre des chars de grenadiers suisses à l'Ukraine. Auparavant, des livraisons de munitions suisses pour des chars antiaériens allemands, également destinés à l'armée ukrainienne, avaient été interdites. N'y a-t-il vraiment aucune possibilité pour la Suisse d'envoyer des armes ou des munitions à une démocratie amie qui est attaquée?
Actuellement, avec le droit de la neutralité ainsi qu'avec la loi sur le matériel de guerre —encore renforcée par le Parlement —, le Conseil fédéral n'a aucune marge de manœuvre en ce sens. Nous en avons discuté vendredi: nous n'avons pas cette flexibilité. Notamment parce qu'une majorité du Parlement ne le veut pas. Parmi eux, nombreux sont ceux qui critiquent aujourd'hui bruyamment le Conseil fédéral. Et même si nous avions cette possibilité, nous devrions, en tant qu'État neutre, traiter les deux belligérants de la même manière. La Russie pourrait alors commander les mêmes armes en Suisse.

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