Les juifs orthodoxes aiment Davos. Chaque été, près de 4000 d'entre eux arrivent du monde entier pendant un mois. On trouve alors de la nourriture casher dans les supermarchés de la station grisonne et des locaux temporaires pour prier. L'hebdomadaire «Jüdische Allgemeine» a déclaré en plaisantant que la ville la plus haute d'Europe était également le «shtetl» le plus élevé, le mot yiddish décrivant un lieu à caractère juif. Seulement voilà: l'amour des juifs orthodoxes n'est pas réciproque partout à Davos. La situation semble même particulièrement venimeuse.
Le directeur de l'office du tourisme de Davos, Reto Branschi, a critiqué ses hôtes juifs dans deux interviews. «Une partie de ce groupe a sensiblement du mal à respecter les règles de la cohabitation ici à Davos», a-t-il déclaré dans la «Davoser Zeitung». Et de déplorer les déchets dans la nature et les comportements irrespectueux. Le diagnostic du professionnel du tourisme en deux mots: «Ça bouillonne.»
Peu après les propos tenus par Reto Branschi, les juifs de Davos ont été victimes d'une action de haine. La «Gipfel Zytig», qui se revendique — selon sa propre description — comme un «organe pour le tourisme» dans la région, a publié une photo de matières fécales en première page. Les excréments auraient été trouvés sur une terrasse et proviendraient «indubitablement d'un être humain d'origine juive», selon le texte à caractère antisémite.
Les touristes juifs ne sont plus les bienvenus ?
Que se passe-t-il entre les Davosiens et les juifs orthodoxes? Jonathan Kreutner accueille Blick devant la station du funiculaire Schatzalp. En tant que secrétaire général de la Fédération suisse des communautés israélites (FSCI), il a été témoin de l'escalade. «Apparemment, les touristes juifs ne sont pas les bienvenus à Davos, si l'on s'en réfère à ces instances touristiques», regrette Jonathan Kreutner.
Ces dernières années, des bénévoles de la Fédération des communautés ont essayé de jouer les médiateurs entre les Davosiens et les juifs orthodoxes. Par exemple en publiant une brochure destinée à familiariser les hôtes avec les us et coutumes locaux: ne pas se bousculer, ne pas laisser de déchets dans la nature; et au restaurant, chacun devrait également commander quelque chose à table. Mais le directeur de l'office du tourisme, Reto Branschi, aurait mis fin à la collaboration avec la FSCI, «par un maigre courrier», comme le fait remarquer Jonathan Kreutner. Le secrétaire général de la FSCI s'agace que tous les juifs soient mis dans le même sac parce que quelques-uns se comportent mal.
Il voit deux raisons possibles à la récente escalade: l'argent et le ressentiment anti-juif. L'argent, parce que les touristes orthodoxes ont un comportement de consommation atypique. Ils descendent plus souvent dans des appartements de vacances que dans des hôtels. Ils ne soutiennent que peu la gastronomie locale, faute de restaurants qui préparent les repas selon les règles casher. Le ressentiment parce qu'il y a «aussi des gens qui ont ce genre de sentiment envers les juifs», rappelle Jonathan Kreutner. La FSCI a déposé plainte contre l'article sur les excréments paru dans la «Gipfel Zytig», estimant que cette dernière avait «clairement franchi une ligne».
Le commerce local s'est adapté aux juifs
Le commerce local s'est, quant à lui, adapté aux touristes orthodoxes. Les filiales de Spar (ndlr: une chaîne de supermarchés alémaniques) proposent pendant l'été un choix de repas casher. Susanne Pfister, bouchère de Davos, ne propose pas de la viande casher, mais elle développe son offre de poisson en été. «Durant cette période, je réalise certainement 70% du chiffre d'affaires du poisson avec mes clients d'origine juive.» Que pense-t-elle de la dispute actuelle? Susanne Pfister avance un avis nuancé: «Quand il y a trop de monde en même temps, cela pose toujours des problèmes, indépendamment de leur origine.» Elle trouve néanmoins les déclarations du président de l'office du tourisme «pas très intelligentes» et s'inquiète des éventuels dégâts d'image pour Davos.
Le chef de caisse des remontées mécaniques, Simon Lutz, met également en avant les deux côtés de la médaille: «Il y a déjà eu des problèmes de déchets par le passé», concède-t-il. Et si l'autre tout le monde ne parle pas anglais, cela ne facilite pas non plus les choses. Mais Simon Lutz estime que seule une minorité de touristes juifs pose problème. Et, de souligner, philosophe: «Il faut simplement communiquer entre nous!»
«Nous, les juifs, nous respectons la loi»
La plupart des touristes juifs ne semblent pas avoir entendu parler de cette dispute. La haute saison est terminée, seuls quelques juifs orthodoxes sont encore visibles dans les rues grisonnes. Joe et Jacob, tous deux trentenaires, sont venus de New York avec leurs familles. «C'est la première fois que nous venons ici, c'est comme un conte de fées!», s'enthousiasme le premier des deux frères. «Nous, les uifs, nous respectons la loi», lâche-t-il à propos des problèmes rencontrés avec certains autochtones, avant de filer pour attraper le téléphérique.
Israël, originaire de Belgique, vit dans la maison «Etania», qui sert depuis 1911 de lieu de guérison pour les juifs orthodoxes espérant être soulagés par l'air des hauteurs. «J'apprécie mon séjour ici», nous dit le quadragénaire. Ce Belge discret n'attribue pas à la religion le fait que certains hôtes juifs soient plus bruyants et plus animés que le «Suisse moyen»: «C'est quelque chose de typiquement israélien.»
Mais les touristes juifs racontent aussi des expériences négatives: une Américaine juive se plaint d'avoir été chassée d'une table de pique-nique. D'autres racontent les regards obliques et le ton peu aimable de certains habitants. Une chose est sûre: les orthodoxes reviendront l'été prochain. Que cela plaise ou non aux habitants de Davos.