C'est dans un allemand cassé que Vas Narasimhan salue les actionnaires de Novartis mardi matin à la Halle Saint-Jacques de Bâle. «Mesdames et Messieurs, soyez les bienvenus», glisse le CEO. Quelques bribes suffiront. L'Américain fait l'effort de parler allemand à l'assemblée générale pour faire bonne figure.
Et pour cause: on dit de Vas Narasimhan qu'il se moque pas mal de la Suisse. L'entreprise Novartis, qu'il dirige, a pourtant son siège ici et cela n'est pas près de changer. Mais le CEO ne semble pas avoir d'attachement particulier à la patrie helvétique.
Hautain avec les médias suisses
Son attitude envers les médias suisses fait aussi tiquer. Lors de la présentation des chiffres annuels de Novartis aux journalistes suisses en janvier, Vas Narasimhan ne s'est même pas présenté et a délégué cette tâche à son directeur financier. Des interviews dans les médias suisses? Pas dans ses plans.
Le CEO millionnaire préfère s'entretenir avec les journalistes anglo-saxons. Rien d'étonnant, quand on voit que les Etats-Unis sont un marché de croissance important pour Novartis. Les apparitions médiatiques du CEO sur la chaîne de télévision américaine CNBC ont vraisemblablement un autre impact que dans les titres locaux.
L'initiative contre les rémunérations abusives tombe dans l'oubli
La modestie? L'homme n'a pas l'air d'en être pourvu. Ce dernier aurait encaissé 16,2 millions de francs de salaire pour l'année écoulée. C'est presque deux fois plus que l'année précédente. Vas Narasimhan devient ainsi le manager le mieux payé de Suisse – voire peut-être d'Europe.
Pour sa défense, le CEO est encore loin d'égaler les excès salariaux de son prédécesseur Daniel Vasella. Celui-ci gagnait autrefois 40 millions par an pour sa double fonction de président du conseil d'administration et de CEO de Novartis. Mais c'était une autre époque – une époque dans laquelle l'adoption de l'initiative contre les rémunérations abusives en 2013 n'existait pas encore.
«Nous constatons malheureusement un retour à un niveau de rémunération beaucoup trop élevé, déclare Vincent Kaufmann, directeur de la fondation d'investissement Ethos, lors de l'AG de Novartis. Nous devons tirer les leçons des erreurs du passé. Des rémunérations trop élevées peuvent inciter le management à prendre des risques trop importants pour le seul intérêt de leur propre rémunération.»
A l'annonce de ces salaires élevés, l'indignation gagne la salle Saint-Jacques. «Les salaires des cadres supérieurs ne cessent d'augmenter. Pour tous les autres, il ne reste que des miettes», déclare par exemple la maigre actionnaire Silvia Schaffner à Blick lors de l'assemblée générale.
Des millions pour l'AVS plutôt que pour le CEO?
Une ex-employée, qui préfère rester anonyme, évoque les suppressions de postes encore en cours chez Novartis. «Compte tenu de ces licenciements, je me demande déjà si cela est justifié», se questionne-t-elle. Pour rappel, Novartis va supprimer 1400 postes en Suisse de manière échelonnée sur trois ans. Seules quelques voix très isolées d'actionnaires estimant que ce salaire est justifié se font entendre dans la salle.
Novartis explique le salaire élevé de son CEO par la bonne marche des affaires, notamment. L'année dernière, l'entreprise a réalisé un chiffre d'affaires de 45 milliards de dollars américains, avec un bénéfice de 8,6 milliards de dollars au bout du compte. Vas Narasimhan a bien travaillé: il est donc payé en conséquence, selon cette logique. «Mais ce n'est pas son travail personnel, c'est un travail d'équipe, objecte l'actionnaire Anton Baumberger. Avec de tels chiffres, on rend les gens frustrés et en colère!»
Ruth Weilenmann trouve le salaire de son patron tellement déplacé qu'elle prend son courage à deux mains et se présente au pupitre devant l'AG réunie. «Monsieur Narasimhan a-t-il besoin de cette rémunération astronomique pour gagner sa vie? Je m'ose à dire que non.» Puis, elle tente une proposition: «Versez votre augmentation directement à l'AVS!» La salle l'accueille par des éclats de rire et des applaudissements nourris.
Actares, une organisation qui représente des actionnaires individuels, demande que les salaires des CEO ne dépassent pas 3 millions de francs. Sinon, l'équité de la répartition interne en deviendrait menacée, argumente le président Rolf Kurath. «Une collaboratrice de production dans un laboratoire Novartis a un salaire annuel estimé à 100'000 francs, calcule-t-il. Par rapport au CEO, l'écart salarial est de 1 à 160, c'est fou!» Le président est convaincu que cette situation est non seulement profondément injuste, mais qu'elle nuit également à la motivation du personnel.
«Nous nous efforçons de rester équitables»
Vas Narasimhan prend acte en silence des votes contre son salaire d'un million de francs. Comme il est d'usage lors des AG, c'est le président du conseil d'administration Jörg Reinhardt qui s'exprime à sa place. «Nous faisons le grand écart entre ce qui est tout juste perçu comme acceptable et ce qui est payé dans le reste du monde», justifie-t-il.
Selon le porte-parole, le salaire moyen des CEO des 15 plus grands groupes pharmaceutiques du monde est de 16 millions. Les groupes pharmaceutiques américains sont justement connus pour leurs salaires exorbitants. Le CEO de Pfizer Albert Bourla a par exemple gagné 33 millions de dollars américains. «Nous voulons que les meilleurs travaillent chez nous et nous nous efforçons de rester équitables», assure Jörg Reinhardt.
Rester équitable? A la Halle Saint-Jacques de Bâle, rares sont ceux qui trouvent «équitable» qu'un individu touche plus de 16 millions. Pourtant, la rémunération de la direction est finalement approuvée à 90%. Les petits actionnaires qui expriment leur colère lors des assemblées générales détiennent une part d'actions tellement faible que leurs votes – même s'ils sont valables – finissent aux oubliettes.