Sur la Bahnhofstrasse de Zurich en ce mois de décembre, les passants s’affairent sur les trottoirs, des cadeaux de Noël plein les mains. Alors que les sacs Dior, Chanel, Versace contenant montres et bijoux défilent dans la rue au bout de mains gantées, Melina Reusser se fait refaire le visage à quelques mètres de là.
Dans son front, on lui injecte de la toxine botulique (le fameux botox) et dans les lèvres, les joues et le menton, de l’acide hyaluronique. Coût de l’opération: environ 730 francs. Pas plus cher qu’une nouvelle paire de boucles d’oreilles.
Zurich, haut lieu des interventions esthétiques
Pour l’industrie de l’esthétisme en tout genre, la période de Noël est reine. «Avant les fêtes de fin d’année, de nombreuses clientes remettent un coup à leur visage pour avoir l’air plus détendues», explique Alexandra Lüönd, fondatrice de Beauty2Go. Environ 90’000 interventions sont réalisées chaque année en Suisse, selon la société faîtière Swiss Plastic Surgery. Le commerce de la beauté par injection est en plein essor, bien que controversé. Et c’est à Zurich que la demande est la plus forte.
La femme de 34 ans a fondé Beauty2Go après avoir elle-même fait de mauvaises expériences, il y a dix ans. L’étudiante en économie qu’elle était voulait se faire injecter les lèvres, mais le médecin qu’elle avait rencontré avait refusé. «J’ai dû me justifier auprès de lui. Il trouvait que j’étais assez jolie et que je n’avais pas besoin de ce traitement», raconte Alexandra Lüönd, qui ressortira fortement agacée de cette expérience.
Cinq ans plus tard, sa clinique de traitements esthétiques non chirurgicaux est présente dans cinq villes suisses. La clientèle peut s’inscrire par formulaire de contact et par téléphone de manière classique, mais aussi via WhatsApp, Instagram ou TikTok. L’ambiance est détendue, tout le monde se tutoie. «C’est grâce aux réseaux sociaux que les thématiques de beauté sont devenues tendance et acceptées au sein de la société», plaide Alexandra Lüönd.
A lire aussi
Le filtre Instagram comme nouvel idéal de beauté
Si l’on se rendait autrefois chez le coiffeur avec une photo de la coupe de cheveux de Rachel de la série «Friends», ce sont aujourd’hui les lèvres, le menton et les yeux de félin de Kylie Jenner, Kim Kardashian ou Bella Hadid qui font l’objet de toutes les convoitises.
«Les filtres Instagram et les algorithmes mettant en avant les nouvelles superstars des réseaux sociaux ont complètement changé l’idéal de beauté», explique la psychanalyste Ada Borkenhagen. «Tout est basé sur le nombre de likes sous une photo. On est dans la recherche permanente du selfie parfait», décortique-t-elle. Elle rappelle que la beauté a toujours joué un rôle important dans la société, mais aujourd’hui, c’est surtout le porte-monnaie qui détermine «qui est beau et soigné et qui a l’air fatigué et faible».
Selon elle, la beauté serait passée d’un heureux hasard biologique à un véritable symbole de statut social. «La tendance des interventions médico-esthétiques va s’accroître au cours des prochaines décennies et sera bientôt aussi banale que la visite chez le coiffeur», assure la chercheuse.
Des prestataires peu sérieux
Chez Beauty2Go, la demande a augmenté de 30% depuis le début de la pandémie. Thomas Fischer, président de la Société suisse de chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique, pense que les nombreuses réunions Zoom dues au Covid, où l’on est confronté toute la journée à la vue de son propre visage, ont été d’une importance décisive.
Mais ce marché lucratif attire aussi des prestataires peu sérieux. «Le nombre de traitements non qualifiés et non transparents, par exemple dans les arrière-salles des petits instituts de beauté, a explosé ces dernières années», explique Thomas Fischer.
«Certaines personnes ont l’air grotesques»
Swissmedic indique que seuls des spécialistes qualifiés sont autorisés à injecter des substances restant plus de 30 jours dans le corps. Cependant, la branche n’est ni contrôlée ni réglementée, dénonce Thomas Fischer. Pour éviter d’abîmer les vaisseaux sanguins, il faut administrer les injections avec les bonnes seringues à la bonne profondeur de peau. «En cas de mauvaise connaissance de l’anatomie, on peut commettre des erreurs qui ont des conséquences sur des parties entières du visage, explique-t-il. Certaines peuvent même se nécroser.»
«Bien sûr, la beauté est dans l’œil de celui qui regarde, continue Thomas Fischer, mais de plus en plus de personnes ayant subi des traitements esthétiques que je vois dans la rue ont juste l’air grotesque, balance-t-il. Un traitement esthétique n’est pas qu’une simple petite injection, mais une intervention médicale», affirme le chirurgien. Il en appelle aux autorités sanitaires et demande de prendre des mesures plus strictes.
A Zurich, une demi-heure après son injection, Melanie Reusser mange des amuse-gueules et boit du champagne. Elle se sent pleinement satisfaite. «Je me sens beaucoup mieux avec ces lèvres pleines. J’aurais dû le faire bien plus tôt.»
(Adaptation par Alexandre Cudré)