C’est une procédure pénale sordide aux rebondissements multiples que relate ce jeudi 5 septembre le Ministère public (MP) fribourgeois. Arrêtée en 2022, une Thaïlandaise avait mis fin à ses jours dans un local d’audition de la police de sûreté à Fribourg en se pendant avec ses lacets de chaussures. Le jugement pour homicide par négligence — ouvert contre inconnu, mais impliquant la responsabilité de policiers fribourgeois — a finalement été classé sans suite ce mercredi.
Revenons un peu en arrière. Le 20 septembre 2022, une quadragénaire d’origine thaïlandaise est interpellée avec son compagnon. Un interprète les informe des motifs de leur arrestation: la police les soupçonne de trafic d’êtres humains et d’encouragement à la prostitution. Rien que ça.
Seule dans sa cellule, chaussures aux pieds
Le lendemain, après un passage en garde à vue, la police emmène la suspecte dans une salle d’audition peu après 9h, dans l’idée d’être entendue à 14h. Elle y demeure seule. À 11h05, elle fait sonner l’interphone et un inspecteur de police lui rend la seule visite de ses cinq heures d’attente dans le local dépourvu de vidéosurveillance.
Mais voilà. Vers 13h45, les agents retrouvent son corps sans vie. «Les investigations techniques confiées à la Police judiciaire neuchâteloise et l’autopsie ont révélé que la précitée s’était suicidée par semi-pendaison à l’aide d’un lacet de chaussure», dévoile le Ministère public dans son communiqué. En effet, les lacets de la défunte lui avaient malheureusement été laissés.
Contacté par Blick, le procureur général du canton de Fribourg, Fabien Gasser, assure que les raisons de ce passage à l’acte sont «le temps passé dans la salle d’audition et l’oubli des chaussures aux pieds de la dame, qui va à l’encontre d’une directive de la police». Cette prescription écrite interne à la police cantonale oblige les forces de l’ordre à enlever les chaussures, ou au moins les lacets, d’une personne privée de liberté. «Pareil pour une ceinture ou une cravate», précise le magistrat.
Négligence, mais pas homicide
Le MP ouvre alors une procédure contre inconnu. Pour Fabien Gasser, «on ne sait pas par qui» mais il y a bien eu négligence dans cette affaire. Sa décision de classement, rendue ce 4 septembre, spécifie que les investigations n’ont «pas permis de désigner qui du convoyeur qui l’avait conduite dans une première salle d’audition sise dans les locaux de la Police de sûreté, de l’inspecteur qui l’avait déplacée à 9h10 dans la salle d’audition où elle avait été découverte sans vie ou du second inspecteur qui s’était rendu auprès d’elle aux environs de 11h05 avait commis cette négligence». C’est pourquoi la procédure pour homicide par négligence est abandonnée.
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«Rien au dossier ne permet de condamner l’un ou l’autre des policiers engagés dans cette affaire», précise le procureur. Pour ce qui est du temps passé sans surveillance, il estime qu’il n’y a «pas eu d’insuffisance», car lors de l’évaluation de son état psychologique, «il n’y avait pas de signaux qui permettaient d’avancer que la défunte allait commettre cet acte». Fabien Gasser concède: «Même si c’est assez long, cinq heures pour une seule visite, il a été estimé qu’elle n’avait pas besoin d’une surveillance accrue.»
Tout de même, comment expliquer le nombre très restreint de contrôles visuels ce jour-là? «Cette tragédie s’inscrit dans une succession d’imprévus sans que l’on puisse en imputer la survenance à une personne en particulier», commence le communiqué avant de lister une série d’explications. L’arrestation du couple a dû être précipitée en raison de leur «départ imminent pour l’étranger». Dès lors, le jour de son arrivée dans les locaux de la police de sûreté, «les nombreuses auditions menées en parallèle, notamment dans cette affaire, diminuaient notablement la disponibilité des inspecteurs pour procéder aux contrôles visuels». Même la nécessité de trouver une interprète parlant le thaï est avancée.
L’État en responsabilité
«Le Ministère public a conclu que cette affaire doit être traitée sous l’angle de la responsabilité de l’Etat, et non sous l’angle pénal», résume le communiqué du Ministère public. Explications de Fabien Gasser: «Lorsqu’un employé de l’État, par exemple un policier, est soupçonné d’avoir commis une infraction dans le cadre de sa fonction, c’est l’État qui assume la responsabilité de dédommager les victimes ou leurs proches. Et l’État peut se retourner contre ses employés s’il estime qu’ils ont commis une négligence ou un acte graves.»
La responsabilité pénale de la police et de ses agents n’est donc plus engagée, mais «une procédure administrative est entre les mains du Conseil d’État pour évaluer la possibilité d’un dédommagement aux proches de la défunte», avance le procureur général. L’affaire des accusations de traite d’êtres humains et d’encouragement à la prostitution, elle, est toujours en cours. «Il n’y a plus de procédure pénale ouverte à l’encontre de la défunte, explique Fabien Gasser. Le cas de son compagnon est renvoyé au tribunal de première instance.»