Certains lendemains d’élection en disent plus sur un pays que la campagne électorale qui a précédé le vote. En France, où 58,5% des électeurs ont nettement réélu Emmanuel Macron dimanche 24 avril à la présidence de la République, cette vérité problématique est aujourd’hui à l’œuvre.
Jugez plutôt: en théorie, la réélection d’un chef de l’Etat sortant pour un second mandat malgré un haut niveau de colère sociale et une poussée des extrêmes de plus en plus difficile à contenir devrait être applaudie comme une nette victoire par la majorité des commentateurs. Erreur.
Aussitôt réélu, et alors que son quinquennat s’achèvera le 13 mai à minuit (soit après son investiture présidentielle ce samedi 7 mai), Emmanuel Macron est déjà présenté comme un président le dos au mur, sans autre solution que de subir l’assaut d’un redoutable «troisième tour» social. Telle est la France politique et médiatique de 2022: convaincue que son proche avenir débouchera sur une nouvelle crise plutôt que sur des solutions nouvelles, capables de lui permettre de répondre à l’affaissement électoral historique de la droite traditionnelle et de la gauche sociale-démocrate.
Chaos social et politique programmé
Ce pronostic d’un chaos social et politique programmé, entonné dès le soir du 24 avril par la candidate battue du Rassemblement national Marine Le Pen et par le leader de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon (éliminé au seuil du premier tour malgré 22% des voix), mérite heureusement d’être nuancé et remis dans son contexte. Car rien ne prouve qu’il va se matérialiser.
Premier indice optimiste: Emmanuel Macron a prouvé, depuis sa campagne présidentielle victorieuse de 2017, qu’il sait trouver les parades et surmonter les épreuves, même si celles-ci laissent évidemment des traces dans l’opinion publique. Deuxième indice: sa réélection, due au ralliement de nombreux votants avant tout désireux de faire barrage à l’extrême-droite, doit d’abord être interprétée pour ce qu’elle est: une preuve incontestable de refus du repli nationaliste, souverainiste et anti européen prôné par son adversaire.
Troisième facteur à garder en tête pour qui veut comprendre la France de 2022: le pays vit, en direct, une profonde recomposition politique, dont l’issue n’est pas acquise d’avance. La jeunesse française éduquée, très sensible aux thèses écologistes, peut notamment servir de point d’appui au nouveau quinquennat Macron. Tandis que la fracture villes (plutôt macronistes) – campagnes (plutôt lepénistes), très nette dans les urnes françaises dimanche 24 avril, n’est pas irréductible. Les populations éloignées des bassins d’emploi, des centres médicaux et des services publics ont de nouveau exigé par leur vote protestataire que l’on repense à elles. Elles n’ont pas définitivement sombré dans l’extrémisme.
Nouvelles radicalités politiques
Les élections législatives françaises qui se tiendront les 12 et 19 juin n’apporteront malheureusement que des réponses partielles à ces questions. Le scrutin majoritaire à deux tours est un verrou institutionnel qui ne permettra sans doute pas d’aboutir à une future Assemblée nationale (577 députés) représentative des nouvelles radicalités politiques. Il est en plus probable que, même s’ils prétendent le contraire dans les sondages, une majorité d’électeurs souhaiteront, in fine, donner au président tout juste réélu les moyens de gouverner dans la stabilité. Comment, dès lors, sortir dans les prochaines semaines de ce qui ressemble à une impasse? Trois réponses apparaissent à l’horizon, largement assombri sur le plan international par la guerre en Ukraine.
La première réponse est dans les mains d’Emmanuel Macron. C’est à lui, en s’appuyant sur les deux thèmes mobilisateurs et fédérateurs de son électorat que sont l’Europe et la transition écologique, de proposer une plate-forme de gouvernement capable de rassembler. Laquelle pourrait fort ressembler à l’actuelle coalition sociale-démocrate-verte-libérale en Allemagne.
La seconde réponse consiste à prendre acte, politiquement, de l’inquiétude identitaire de toute une partie de la population, flouée par les failles de plus en plus béantes de l’Etat providence et apeurée par des formules comme le «grand remplacement», qui désigne l’envahissement possible de la France par des immigrés en majorité musulmans.
La troisième réponse, enfin, est avant tout dans les mains du leader de la gauche Jean-Luc Mélenchon, désormais leader d’une «Nouvelle Union populaire, écologique et sociale» qui rassemble communistes, Verts et une partie des socialistes. S’il veut apparaître comme un dirigeant crédible, capable demain de gouverner la France ou de participer à une coalition gouvernementale, Mélenchon doit répondre plus clairement aux interrogations posées sur son soutien passé à Vladimir Poutine et sur son anti-américanisme primaire.
La réélection d’Emmanuel Macron est, au fond, plus un chantier qu’un aboutissement. Il lui faut, à peine reconduit pour un second mandat, reconstruire sa légitimité présidentielle. Pour éviter que la France, durant les cinq prochaines années, ne passe son temps à se battre à nouveau contre elle-même.