Cap sur le 9 mai. C’est en ce jour de fête de l’Europe, commémorant le discours de Robert Schuman du 9 mai 1950 sur l’intégration communautaire, que les 27 pays membres de l’Union européenne devraient rendre public le sixième paquet de sanctions économiques et financières contre la Russie. Cette fois, les importations de pétrole russe vers l’UE sont visées: elles seront interrompues d’ici six mois, et celle des produits raffinés le seront d’ici un an. Il s’agira, si ce blocus est approuvé, du premier embargo sur les hydrocarbures en provenance de Russie.
Mais attention, trois points essentiels doivent le nuancer. Le premier est la part moindre du pétrole russe dans l’approvisionnement énergétique européen (moins de 25% dans la plupart des grands pays de l’Union), par rapport au gaz (45% des importations totales de l’UE). Le second est l’exemption temporaire qui sera accordée à la Hongrie et à la Slovaquie, deux États-membres dépendants presque à 100% du pétrole russe.
Le troisième est, justement, la poursuite des importations de gaz russe à propos desquelles la bataille est financière. Moscou exige leur paiement en roubles, pour soutenir la monnaie russe mise à mal par les sanctions. Bruxelles refuse. «97% des contrats conclus par les entreprises européennes spécifient la devise pour le paiement et il s’agit soit de l’euro, soit du dollar américain» a justifié à Strasbourg la présidente de la Commission européenne Ursula Von Der Leyen. La Russie a suspendu, le 27 avril, les livraisons de gaz à la Pologne et à la Bulgarie en exigeant que ces deux pays très dépendants paient en roubles. L’UE paie chaque mois environ 22 milliards d’euros à la Russie, une facture qui s’est envolée par rapport à 2021 (douze milliards mensuels) en raison de l’explosion des prix de l’énergie provoqués par la guerre en Ukraine.
La Suisse devra aussi mettre en œuvre ces nouvelles sanctions
Une autre mesure de taille figure dans ce sixième paquet de sanctions que la Suisse devra elle aussi mettre en œuvre, conformément à l’engagement pris par le Conseil fédéral le 28 février 2022 de «reprendre intégralement» les mesures d’étranglement économiques prises par l’UE contre la Russie: il s’agit de l’exclusion de trois banques russes supplémentaires du système de paiement international Swift (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication). La plus importante est Sberbank, la première banque russe.
Reste l’autre sujet, bien plus politique: le processus d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. Car sur ce plan, et malgré les délais impartis à toute demande, l’accélération est manifeste. Le 8 avril, en visite à Kiev, Ursula Von Der Leyen a remis au président Ukrainien Zelensky les documents requis pour présenter la candidature de son pays. Le 18 avril, celui-ci a donné à l’ambassadeur européen dans son pays l’épais questionnaire rempli par son gouvernement. Puis le 20 avril, le président du Conseil européen Charles Michel (représentant les États-membres) s’est à son tour rendu à Kiev, affirmant y être «au cœur de l’Europe libre et démocratique».
Huit pays de l’Union se sont déjà prononcés dès le début du conflit pour cette adhésion qui doit être approuvée à l’unanimité: République tchèque, Lettonie, Lituanie, Estonie, Bulgarie, Pologne, Slovaquie et Slovénie. Le processus d’adhésion, qui d’ordinaire prend des années au minimum, se retrouve donc clairement otage de la guerre déclenchée par Vladimir Poutine le 24 février. Il sera au cœur du prochain sommet des Chefs d' État ou de gouvernement de l’Union les 30 et 31 mai à Bruxelles.
Le double défi d’une adhésion accélérée
Or promettre à l’Ukraine une adhésion rapide, malgré les réticences fermes de la France ou de l’Allemagne, pose un double défi. Le premier est militaire. Plus l’Ukraine est assommée militairement par la Russie, avec son tragique cortège de morts et d’exode en provenance des villes détruites comme Marioupol, plus la cause de son intégration apparaît urgente. Tandis que du côté de Moscou, cette perspective de voir l’UE débarquer à la frontière russe rend le Kremlin encore plus désireux de contrôle, peut-être, l’ensemble de l’accès à la mer noire, Odessa incluse. L’escalade est donc alimentée, même si une Ukraine dans l’Union européenne pourrait, demain, être neutre comme l’Autriche (tandis que la Suède et la Finlande, neutres aussi, regardent ouvertement du côté de l’Otan).
«L’Europe ne se fera pas en un coup»
Le second défi est régional. Impossible d’accélérer l’intégration européenne de l’Ukraine sans ouvrir aussi les portes aux pays des Balkans qui attendent depuis plusieurs années. Le Monténégro a déposé sa demande d’adhésion en 2008 (acceptée en 2010). L’Albanie et la Serbie l’ont fait en 2009.
Alors? La réalité est que derrière la demande d’adhésion de l’Ukraine se cache, ni plus ni moins, un séisme européen annoncé, surtout si les décisions sont prises à la hâte, en levant tous les obstacles juridiques d’habitude imposés aux États-candidats. «L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble: elle se fera par des réalisations concrètes, créant d’abord une solidarité de fait» argumentait le 9 mai 1950 Robert Schuman dans son fameux discours, à l’origine de la fête de l’Europe. A Bruxelles, et dans les capitales européennes, beaucoup feraient bien de le relire malgré l’urgence humanitaire engendrée par la folie guerrière et meurtrière de Vladimir Poutine.