Rejoindre l'Inde sans avion – Une chronique d'Amit Juillard
Même en voyage, on m’accuse de propager des fake news

En route vers l’Inde, le journaliste Amit Juillard s’est attiré les foudres d’une partie de la population roumaine. Au cœur du buzz: une femme de dictateur, une vidéo TikTok vue plus de 168’000 fois et les quais ridiculement étroits d’une station de métro à Bucarest.
Publié: 29.07.2024 à 14:05 heures
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Dernière mise à jour: 29.08.2024 à 16:43 heures
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Le journaliste en vadrouille Amit Juillard, ici sur le fameux quai du buzz à Bucarest.
Photo: Dimitri Nassisi
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Amit JuillardJournaliste Blick

Vous vous êtes déjà fait insulter par un hooligan roumain (supporters du FC Zurich, du FC Lugano, du FC Bâle ou de la Nati ne répondez pas)? Moi oui. Plusieurs fois. Par plusieurs hooligans roumains. Sur TikTok.

Comment je sais que ce sont des hooligans roumains? J’aurais aimé vous dire que je suis un immense journaliste d’investigation, mais ils sont faciles à reconnaître. Il y a «hooligan» dans leur pseudo et ils écrivent en roumain — avec un accent homophobe. Parfois en anglais pour ceux qui ont réussi à finir l’école primaire. 

Vous voyez cette armoire très mal rangée à la cave? C’était mon appli TikTok pendant quatre jours. A chaque fois que je l’ouvrais, des objets non identifiés et agressifs me tombaient sur le coin de la gueule. 

Qui est Amit Juillard?

Journaliste à Blick durant trois ans, Amit Juillard a quitté son poste pour se lancer un nouveau défi: rejoindre l’Inde sans prendre l’avion, puis s’y installer pour — inch’allah — y écrire des histoires. De temps en temps, il vous racontera un bout de ce voyage exceptionnel sur notre site. 

Journaliste à Blick durant trois ans, Amit Juillard a quitté son poste pour se lancer un nouveau défi: rejoindre l’Inde sans prendre l’avion, puis s’y installer pour — inch’allah — y écrire des histoires. De temps en temps, il vous racontera un bout de ce voyage exceptionnel sur notre site. 

«Retourne dans ton pays»

Des commentaires trumpiens, visiblement peu gênés par leur pansement sur l’oreille. «Fake video, fake news!»; «T’es un faible!»; «Retourne dans ton pays si ça ne te plait pas»; «Ça fait pas si peur»; «Quel gros mensonge!»; «C’est plutôt effrayant que vous soyez une petite fille»; «Merci de vouloir m’informer sur mon pays en te basant sur un article d’un média en qui on n’a pas confiance»; … 

Vous découvrirez bien assez tôt le pourquoi du comment. En attendant, prenez le temps de noter mon incroyable talent: j’ai quitté mon job à Blick fin juin, je suis parti en voyage le 15 juillet pour une durée indéterminée (lire encadré) et j’ai déjà trouvé le moyen d’élargir ma fan base au-delà de nos frontières. Décidément, nul n’est prophète en son pays. Et je ne dis pas ça parce que je me fais réveiller par les muezzins tous ces derniers matins à Istanbul. 

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Ce jeudi 25 juillet à midi, ma vidéo un peu éclatée (je suis néophyte) de 22 secondes — postée le 20 juillet à 8h42 sur TikTok — a dépassé les 168’000 vues. C’est comme si toutes les personnes qui faisaient la file pour aller aux toilettes avant le concert de Sean Paul à Paléo mardi soir l’avaient regardée une fois. Estimation à la louche, depuis la Turquie.

Une station de métro effrayante

A la base de ce monstre buzz, il y a un «free walking tour» à Bucarest. Un tour «gratuit» apprécié des râpes et des backpackers durant lequel le guide rappelle à intervalles réguliers et sous plusieurs formes «qu’il n’y a pas de pourboire minimum, mais surtout pas de maximum». 

Celui-ci, barbe de trois jours et Birkenstock enflées, nous raconte un fun fact façon voix off dans Narcos, accent étasunien parfait. Une station de métro très fréquentée de la capitale roumaine a des quais de moins de 1,5 mètre de large à cause d’Elena Ceaușescu, femme du sanguinaire dictateur communiste Nicolae. 

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En secret

Le soir, sur lesdits quais, je me fais filmer par un caméraman de confiance — Dimitri, mon boyfriend, qui subit mes ambitions de wannabe influenceur du rail. Je vérifie l'histoire. Tout est vrai. Une revue historique nationale a même interviewé Sorin Călinescu, l’un des concepteurs du réseau souterrain, à ce sujet. Une info notamment reprise par Antena 1, très populaire chaîne de télévision nationale. Les pages Wikipédia en français et en anglais confirment.

Je monte donc une vidéo et je résume cette story rocambolesque. En surimpression, j’écris (en anglais, parce que je vise un succès planétaire) qu’à l’époque, pour des raisons incertaines, du genre «les travailleurs et les étudiants vont continuer à prendre du poids s’ils prennent le tube au lieu de marcher», Elena Ceaușescu s’oppose à la construction de la halte.

Or les architectes savent que cet arrêt deviendrait nécessaire à terme et décident de la bâtir quand même, derrière son dos, mais surtout derrière un mur. D’où ces quais super étroits aujourd’hui, ils n’ont pas pu être élargis.

Un truc anormal

Le lendemain matin, avant de sauter dans le train de nuit qui doit nous poser à Istanbul 20h plus tard, je publie ma création, peu avant 9h. La clim’ ne fonctionne pas. Le thermomètre dépasse sans doute déjà les 30 degrés. Il a fait jusqu’à 40 ces derniers jours. Quatre litres d’eau pour deux ne suffiront jamais. Il paraît qu’on passera la frontière ottomane à 2h du mat’. 

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«La première fois que j’ouvre TikTok (je ne reçois pas les notifications) avant même le départ du train (retardé), je sens qu’il se passe un truc anormal. Le nombre de vues décolle»
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Notre voisin de couchette est un avocat belge blagueur qui part soigner son burn-out en Mongolie. La gourde de notre voisine italienne pas encore universitaire exhibe un autocollant antifasciste. Nous, on partage volontiers notre eau. 

La première fois que j’ouvre TikTok (je ne reçois pas les notifications) avant même le départ du train (retardé), je sens qu’il se passe un truc anormal. Le nombre de vues décolle. Des premiers commentaires haineux tombent. On rage parce que je n’ai pas évoqué la possibilité d’attendre derrière le mur. 

Je ressemble à Joe Biden

Je rouvre l’appli une deuxième, une troisième, une vingtième fois: le buzz est réel. C’est l’explosion. Angoisse. Et si j’avais dit une connerie? On bouge maintenant, la locomotive siffle à chaque passage à niveau. La Bulgarie. D’abord sèche, puis verte. Sur le quai, un gamin, 13 ans max, fume. Une sèche. Pas le paradis de la 5G. Je vérifie à nouveau mon histoire. Je traduis des entretiens en roumain via Deepl. Rien. Aucune trace d’un semblant de démenti.

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«Quel énorme mensonge! Les gens mentent comme des fous juste pour des likes. Va voir ta maman pour avoir plus d'attention. Il y a beaucoup de place dans cette station de métro, mais il a juste publié les piliers proches de la voie. Clown»
Photo: DR

Plusieurs commentaires sont rassurants, quand même. «Ce que tu dis est vrai (...). Mais certaines personnes en Roumanie ne croient pas qu’Elena était aussi diabolique que Nicolae et ont tendance à la défendre. Je suis désolée pour l’hostilité que tu subis.»

En attendant, je suis à terre. Enfin, j’écris cette chronique couché par terre. Je suis dans l’état de Thierry Lhermitte dans «Le Dîner de cons» et quand je marche, on dirait Joe Biden. J’ai 35 ans, c’est mal barré pour que ce voyage forme ma jeunesse. 

Notre chroniqueur au boulot, à même le sol, depuis Istanbul.
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