Novembre. Mardi. 16h33. Lausanne. Café du Simplon. Ici, ça grouille de monde. Comme on n’en a pas vu depuis longtemps. Quel pied! Et, en même temps, quelle angoisse! A la table huit, lunettes sur le bout du nez, celui qui ressemble à s’y méprendre à Karl Zéro se mouche, siffle, renifle. Juste en face, table six, les deux copines d’enfance mènent une bataille inconsciente de sprays anti-rhumes et de pilules antitussives. «Mais à base de valériane et de gentiane, parce que sinon c’est trop trop pas bon pour ma flore intestinale».
Le serveur se pointe sur ma droite, gauche et pressé. Le déca’ déposé devant moi, le garçon souhaite m’encaisser. Le pauvre termine son service prématurément, très fatigué manifestement, parce qu’il est malade et son patron lui recommande d’aller faire un test PCR. La routine dans une période comme celle-ci. Un détail. Une peccadille. Et pourtant…
Symphonie en râle majeure
Sur la route, je crois rêver. Mais en fait, non. Depuis une bonne heure, mon auxiliaire de vie souffle, fort, racle son système nasopharyngé aussi régulièrement qu’il cligne des yeux. Il tombe malade, je le vois. Je le sens. Un bon gros truc qui va me valoir un remplacement de dernière minute, que je vais devoir mettre en place à 7h30, demain matin, une heure et demie avant le travail.
Dans le métro, c’est la même. Derrière les masques (bénis soient-ils), les passagères et passagers sniffent, groumpfent, coughent. Une symphonie d’onomatopées en râles majeures, formidable, exquise, (mieux!) extatique. Et moi, je sue. De façon tout à fait irrationnelle, j’arrive à me convaincre que, si je cesse d’expirer durant quelques secondes, je m’empêcherais le pneumocoque véhiculé par mon voisin d’en face.
Une peur (ir) rationnelle
Quelle dèche, cette hypocondrie à laquelle je fais face depuis maintenant quelques années! Cette peur de la maladie, développée par une pneumonie qui m’a fait prendre conscience, alors aux portes de «l’autre côté», de ma vulnérabilité pulmonaire. Sanitaire. Elle m’aura d’ailleurs valu l’écriture d’une missive à mon infirmier dans Blick, il y a de cela plus d’un mois.
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Depuis cet épisode traumatique, fait d’intubations à répétition, de souffrance et de craintes, le simple fait d’avoir un mal de tête couplé à un nez qui coule m’effraie. Et si c’était reparti pour un tour de soins intensifs? Et si cette fois je n’avais pas autant de chance? Non, je ne veux plus tomber malade. Pénibles sont les symptômes, si tant est que je puisse me plaindre d’une telle futilité, mais ils seraient avant tout, chez moi, une «chance» accrue de décès ou de diminution permanente de mes fonctions pulmonaires. Ce «rhume» – on aime bien l’appeler comme ça –, au contact de mon système immunitaire ne durera pas trois jours, mais trois semaines. Complications comprises dans l’offre exclusive.
Instinct de survie face aux virus
Toutes ces raisons font de moi le portrait sans retouche d’un parfait hypocondriaque, anxieux à l’idée d’avoir la gorge qui gratte ou les ganglions qui enflent. Dans ma réalité, en une période prolifique aux virus en tous genres, je suis passablement satisfait du port du masque dans les espaces clos et étroit. Et tant pis pour les bouches contraires. Bizarrement, même si selon mes valeurs sociales cela peut être une entrave à la responsabilité individuelle, le passeport sanitaire (avec ou sans Covid-19, d’ailleurs), m’apparaît comme un outil utile à mon instinct de survie, ego centré.
Arrivé à la maison, je croise la voisine. Un mouchoir cartonné par ses sécrétions à la main, elle me tient poliment la porte. Avant d’éternuer bruyamment. Elle s’excuse. Et, comme un bon Helvète qui se respecte, sourire aux lèvres, mais épouvante au cortex, je lui réponds gaiement: «Mais c’est moi qui suis désolé pour vous, Madame. Bon rétablissement!» C’est décidé, vous ne me verrez plus avant l’été. Et puis, bon, quand même, prenez soin de vous!