Qu'y a-t-il de plus audacieux actuellement que d’émettre un avis sur le conflit israélo-palestinien? À coup sûr s’opposer à une 13ᵉ rente AVS. Imaginez! Dénoncer le mirage d’un avantage vous fait passer ipso facto dans le camp du Mal. Pire, vous prenez le risque que l’on vous taxe de nanti déconnecté des préoccupations de la population. Tant pis, j’en rajoute une couche.
Les chroniques de Philippe Miauton
Proposez une initiative sonnante et trébuchante qui renfloue le portemonnaie. Choisissez bien votre moment: en pleine période d’inflation, quand la baisse du pouvoir d’achat est sur toutes les lèvres. Soignez votre cible: il s’agit d’arroser le plus grand nombre – et si possible la catégorie de la population qui vote le plus –, plutôt que de privilégier uniquement ceux qui en auraient véritablement besoin. Et, enfin, n’abordez surtout pas la question essentielle: comment financer la chose? «Hulahup Barbatruc» et vous avez une initiative alléchante des syndicats pour une 13ᵉ rente.
Calcul d’apothicaire
Alors combien coûterait-elle, cette initiative? Et question subsidiaire: qui va passer à la caisse? Cinq milliards, estiment les spécialistes. Le pouvoir d’achat n’a pas de prix. Mais qui dit nouveaux versements dit nouvelles ponctions. Pour une famille de la classe moyenne, une 13ᵉ rente coûterait 500 francs par an environ. C’est là que l’on rentre dans des calculs d’apothicaire. Trois noix sur un bâton et certains estiment que ce n’est pas cher payé pour toucher à la retraite une somme annuelle supplémentaire et bienvenue.
C’est oublier que le système, dans son ensemble, tient au fait qu’il faut des actifs pour payer les rentes de ceux, toujours plus nombreux — les baby-boomers — qui partent à la retraite. La seconde catégorie augmentant exponentiellement, cette somme même «modeste» versée par la première ne suffira plus à tenir l’ensemble de l’édifice financier. Mauvais calcul donc, en raison d’une pyramide des âges qui ferait perdre son latin à un Égyptien.
Adieu, solidarité!
Notre 1ᵉʳ pilier est régi par le principe de la solidarité et cela vaut la peine de le rappeler. Chaque génération paie pour ceux qui sont à la retraite avec la garantie, que dis-je l’espoir, que la génération suivante le fera pour elle. Cette initiative fait feu de tout bois en promettant cette 13ᵉ rente. Adieux veau, vache, cochon et solidarité! Or les jeunes générations doivent déjà payer des cotisations plus élevées que les générations précédentes pour financer l’AVS.
Le vieillissement de la population les fera encore passer à la caisse. Et cela sans garantie que ce système tiendra bien longtemps. Les rentiers actuels pourraient la toucher quelques années avant que l’enveloppe financière ne se tarisse ou se lézarde. La retraite, qui nous pend tous au nez, risque de passer à l’as en nous laissant sur le carreau. «Pour tous, sans privilèges», mon œil!
Le serpent qui se mord la queue
Je le disais, le pouvoir d’achat n’a pas de prix pour Pierre-Yves Maillard — le même qui, à lui seul, bloque aveuglément le dossier européen — et l’Union syndicale suisse. Ils proposent de soutenir le pouvoir d’achat des retraités en péjorant celui des actifs. Car pour financer ces 5 milliards, il faudra bien augmenter la TVA, qui taxe la consommation. Ou augmenter les charges salariales. Voire les deux.
Au final, moins de pouvoir d’achat pour tous. Mais pas de souci, les syndicats demanderont des aides supplémentaires à l’État pour couvrir la perte de pouvoir d’achat et la boucle sera bouclée. Rappelons au passage que la TVA vient d’augmenter et que les femmes doivent désormais travailler une année de plus pour financer notre système du 1ᵉʳ pilier jusqu’en 2030 seulement. Après… Imaginez donc avec une 13 e rente.
Cette initiative n’est qu’un condensé de paradoxes: soigner le pouvoir d’achat en réduisant celui des autres, casser la solidarité entre les générations, arroser à tel point que les «riches» seront les grands gagnants et, enfin, compromettre la pérennité de notre 1ᵉʳ pilier. Abracadabra, encore.