S’asseoir dans le siège du CEO de Credit Suisse (CS) est un défi risqué: le dernier en date, Thomas Gottstein, n’a tenu que deux ans et demi avant de perdre son poste mercredi. Au moins, il aura eu le mérite d’avoir fait plus long feu que son prédécesseur, António Horta-Osório, resté en poste moins de neuf mois, avant d’être contraint de démissionner à la suite d’un scandale de rupture de quarantaine.
Actuellement, treize personnes siègent à la direction de CS, et pas moins de huit d’entre elles ont été remplacées au cours des derniers mois. C’est désormais au tour de Thomas Gottstein de passer le relais à son successeur Ulrich Körner dès le 1er août. Le départ de Thomas Gottstein n’est pas une surprise: le CEO était déjà sur la sellette.
Le rouge et le désespoir
Ce sont les chiffres, à nouveau dans le rouge au deuxième trimestre, qui ont fait déborder le vase. La perte s’est élevée à 1,6 milliard de francs, et c’est le troisième résultat négatif consécutif. Le rouge pourrait ainsi être la couleur de l’année pour la banque: la guerre en Ukraine, les prix exorbitants de l’énergie, l’inflation galopante et la hausse des taux d’intérêt n’étant pas vraiment porteur d’espoir pour le dernier trimestre.
Le président du CS, Axel Lehmann, qualifie la situation de la banque de «décevante». Le déficit de plusieurs milliards de francs pour le seul deuxième trimestre est certes en partie justifié par des provisions pour des affaires judiciaires. «Mais même en excluant les dépenses spéciales, les activités opérationnelles restent négatives», explique à Blick Andreas Venditti, analyste à la banque Vontobel. L’institution est donc contrainte de se réorganiser en fonction. Avec une nouvelle stratégie en plus du changement de CEO: Fini l’investment banking à haut risque, l’on se dirige plutôt vers la gestion de fortune à haut rendement. Des milliards sont réaffectés à cet effet.
Après l’annonce de ce changement de stratégie, l’année dernière encore, le CS a été qualifié de «petite UBS» – sa grande concurrente ayant procédé à une restructuration semblable après la crise financière et la quasi-faillite de 2008. Le CS, en revanche, s’en sortait mieux à l’époque, repoussant ainsi à plus tard des changements apparemment nécessaires.
Des revenus en baisse
Aujourd’hui, la banque annonce une «révision complète de sa stratégie» pour la deuxième fois en un an. Son président veut, selon ses mots, «mettre les points sur les i». Cela implique un programme d’économies drastique. Il s’agit d’économiser entre 1 et 1,5 milliard de francs, et cela ne devrait pas être possible sans suppressions de postes. Quoi qu’il en soit, ces mesures ne ramèneront pas automatiquement le CS dans les chiffres noirs, prévient l’analyste Andreas Venditti: «Tant que les revenus continueront à baisser, le problème persistera.»
Axel Lehmann a parlé mercredi de vouloir regagner la confiance – des investisseurs, des clients et des collaborateurs. Mais cela prendra des années, prévient Bernhard Bauhofer, expert en image d’entreprise et fin connaisseur du milieu bancaire: «Il ne reste plus beaucoup de temps. La banque doit dès maintenant se montrer transparente, et montrer qu’elle peut apporter un véritable changement culturel en son sein, sans excès ni bonus élevés.»
Des indemnités pour Thomas Gottstein?
Il n’est pas possible de savoir si Thomas Gottstein recevra ou non une indemnité de départ. L’année dernière, il a empoché un salaire de 3,9 millions de francs en tant que CEO de CS. Son prédécesseur, Tidjane Thiam, aurait reçu un parachute doré de plus de 30 millions de francs lors de son départ. Toutefois, si les affaires de la banque étaient roses à l’époque, elles nagent aujourd’hui dans le rouge, ce qui va peut-être changer la donne.
Mercredi, l’action CS a toutefois fait parler d’elle en gagnant 1% au cours de la journée. Mais ce n’est de loin pas un retournement de tendance, le titre de CS ayant perdu près de la moitié de sa valeur depuis le début de l’année. «Ces dernières années, chaque annonce d’une adaptation de la stratégie a fait naître l’espoir d’une amélioration, et le cours de l’action s’est quelque peu redressé», explique Andreas Venditti.
Qui veut acheter Credit Suisse?
Le fait que l’action CS ne vaille plus que cinq francs alimente à nouveau les rumeurs selon lesquelles elle pourrait être complètement rachetée. «A mon avis, le CS est tout à fait un candidat au rachat, déclare Yvan Lengwiler, professeur d’économie à l’université de Bâle. Toutefois, personne ne sait combien de problèmes plus ou moins importants, qui n’auraient pas été découverts jusqu’à présent, persistent encore au sein de Credit Suisse. Cela devrait réduire considérablement le prix de rachat possible.»
Les acheteurs potentiels pourraient certes acquérir le CS à un prix extraordinairement bas, mais ils prendraient alors le risque de découvrir par la suite d’autres cadavres dans le placard. «Je serais très surpris qu’une banque nationale, par exemple, rachète le CS», avance le professeur. Des concurrents internationaux, plus téméraires, seraient quant à eux déjà en train de suivre de près la situation.
Le nouveau CEO Ueli Körner devrait tout mettre en œuvre pour diriger cette entreprise, suisse d’origine et de tradition, vers des eaux plus calmes. Détail à relever: Ueli Körner aura 60 ans à l’automne. Turbulences ou pas, son passage à la tête de la banque ne devrait donc pas durer non plus…