Pour le patron de Sciences Po Lille
«Depuis sa réélection, Macron est encore plus seul»

Pierre Mathiot dirige Sciences-Po Lille (Nord). Pilote de la réforme du baccalauréat, il a collaboré avec l'ex ministre de l'éducation Jean-Michel Blanquer. Pour lui, le président français porte une lourde responsabilité dans sa défaite aux législatives
Publié: 20.06.2022 à 21:55 heures
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Dernière mise à jour: 21.06.2022 à 09:53 heures
Pierre Mathiot (à droite), avait collaboré avec l'ex-ministre de l'éducation Jean-Michel Blanquer (à gauche).
Photo: AFP
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Richard WerlyJournaliste Blick

Pierre Mathiot connaît bien les rouages de la «Macronie», le surnom donné au camp présidentiel Français et en particulier à son ex-parti «La République en marche». Le directeur de Sciences-Po Lille a même conduit, en 2018, l’une des réformes emblématiques du premier mandat d’Emmanuel Macron: celle du baccalauréat, l’examen de fin d’études secondaires.

Retour, avec lui, sur la cinglante défaite enregistrée par le Chef de l’État Français aux législatives, dimanche 19 juin, et la poussée inédite de l’extrême-droite, qui comptera 89 députés dans la nouvelle Assemblée nationale dont l’entrée en fonction aura lieu cette semaine.

Blick: Faisons simple: la machine Macron a déraillé…
Pierre Mathiot
: On ne peut pas faire porter au Chef de l’État toute la responsabilité de cette défaite aux législatives (245 sièges, loin des 289 nécessaires pour obtenir une majorité absolue). Une bonne partie des résultats des urnes, comme la renaissance de la gauche (131 sièges pour la Nupes conduite par Jean-Luc Mélenchon) et la poussée du Rassemblement national (89 sièges) sont le résultat de dynamiques enclenchées durant la campagne présidentielle. Emmanuel Macron n’a, en revanche, pas compris que sa stratégie gagnante de 2017 ne fonctionne plus. Elle consistait à diaboliser les extrêmes, en misant sur la mobilisation des électeurs hostiles à la gauche radicale et à la droite la plus dure. Or cela ne marche plus. L’idée selon laquelle les extrêmes se neutralisent est révolue. À force de tout miser sur un bloc central, modéré et raisonnable, et d’attiser les extrêmes, Emmanuel Macron a oublié que ceux qui n’en font pas partie sont de plus en plus nombreux. Il a fragilisé sa présidence.

Comment peut-on être nettement réélu président le 24 avril, et nettement battu aux législatives le 19 juin?
Emmanuel Macron est tombé dans le piège du calendrier. Un mois et demi entre les deux scrutins, c’est long. Ses adversaires ont repris des forces. Jean-Luc Mélenchon est tout de suite reparti à l’attaque. Marine Le Pen a tout misé sur la proximité et le pouvoir d’achat. Or qu’a fait le président face à cet assaut? Il a trop attendu, puis a nommé à la tête du gouvernement une personnalité, la technocrate Élisabeth Borne, jamais élue et très mal équipée pour mener la bataille des législatives. En fait, Macron s’est retrouvé seul. Encore plus seul. Toujours plus seul. Ses soutiens les plus actifs sur le terrain, le centriste François Bayrou et l’ancien premier ministre Édouard Philippe, entretiennent avec lui des relations compliquées. Son voyage en Roumanie puis en Ukraine, durant l’entre-deux tours, est très mal tombé. Emmanuel Macron a cru, à tort, que le réflexe plébiscitaire allait conduire les Français à voter majoritairement pour ses candidats. Il n’a pas cherché à convaincre les électeurs. Il s’est laissé piéger par cette illusion. Grave erreur.

La France est-elle ingouvernable?
Elle est gouvernable… à droite. C’est là, du côté des élus Les Républicains, que se trouvent les alliés potentiels d’Emmanuel Macron pour constituer une majorité. Mais il va falloir pour ça que le gouvernement d’Élisabeth Borne donne des gages. Il y aura peut-être de nouveaux ministres issus des rangs conservateurs. L’autre option, c’est le remplacement immédiat de la première ministre et l’ouverture de négociations avec d’autres partis. Comment? Avec qui? Et jusqu’à quand, sachant que le président pourra toujours décider de dissoudre l’Assemblée nationale si le pays se retrouve bloqué. La France n’est pas ingouvernable. Mais le pays se retrouve aujourd’hui un peu condamné à faire du sur place.

Qui est le vrai vainqueur de ces législatives: Marine Le Pen? Jean-Luc Mélenchon?
Le Rassemblement national a créé la surprise. Grâce à ses 89 élus, les financements publics vont affluer. Tout va changer d’échelle. On peut dire que Marine Le Pen est aujourd’hui représidentialisée. Elle peut, deux mois après sa défaite face à Emmanuel Macron, avoir l’élection présidentielle de 2027 en ligne de mire. C’est énorme. Jean-Luc Mélenchon a, lui, su créer une incontestable dynamique à gauche, mais son absence à l’Assemblée (il ne se représentait pas) va lui compliquer la tâche. On voit bien que les différents partis qui composent la Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale (NUPES) vont être tentés de se diviser. Avantage Le Pen, si elle ne commet pas de faux pas avec ses nombreux députés RN inexpérimentés.



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