«C'est un petit village calme, assez sympathique. Jamais je n'aurais pensé que ça puisse arriver ici. D'ailleurs, on est choqué quand on voit le mot Mazan à la télévision» déplore Lina Blazy, retraitée habitant cette commune médiévale du sud de la France.
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Surtout connue jusque-là pour être proche du mont Ventoux, cette ville du Vaucluse de 6 000 habitants se retrouve associée depuis début septembre à un procès hors norme, suivi sur les chaînes de télévision du monde entier. Celui de Dominique Pelicot, accusé d'avoir drogué son épouse et recruté des dizaines d'inconnus sur internet pour la violer de juillet 2011 à octobre 2020, au domicile du couple à Mazan. Et même si deux seulement des 50 coaccusés vivaient à Mazan, la gêne est présente.
«Pour moi, le violeur n'est pas mazanais, il est parisien»
«Certains disent qu'on est un village de violeurs, mais ce n'est pas le cas!», s'exclame Annie Viau, qui tient une boulangerie près de la mairie. «Pour moi, le violeur n'est pas mazanais, il est parisien (le couple était arrivé à Mazan de région parisienne en mars 2013, NDLR), mais ça s'est passé ici malheureusement», ajoute-t-elle.
Peu de clients lui parlent de cette affaire: «Les gens ont une certaine pudeur», explique-t-elle, ne supportant pas que la réputation de son village soit entachée.
«Des fois, on croise des gens dans Mazan et on se dit "peut-être que..."»
Lassés d'être assaillis par les médias, des consommateurs assis à la terrasse d'un café préfèrent d'ailleurs ne plus s'exprimer sur cette affaire. Coïncidence troublante, Mazan abrite toujours ce qui fut la maison familiale du Marquis de Sade, cet écrivain français du XVIIIe siècle à l'origine de la notion de sadisme avec ses écrits sulfureux décrivant scènes de torture, viols, incestes ou meurtres. Ce terme avait été repris par le Dr Paul Bensussan lors de son analyse psychiatrique de Dominique Pelicot au procès, le 9 septembre, en évoquant son «sadisme sexuel avec la volonté d'humilier son épouse».
«C'est sûr que cette affaire, ça ne fait pas une bonne publicité pour le village et pour la région», lâche Frédéric Raymond, accoudé au zinc d'un café, rappelant qu'une vingtaine d'hommes recrutés par Dominique Pelicot n'ont jamais été identifiés. «Des fois, on croise des gens dans Mazan et on se dit "peut-être que...", ça peut être n'importe qui... Les malades, c'est pas marqué sur leur front», déclare, l'air grave, ce jeune retraité vivant dans un village voisin, soulignant le climat de suspicion qui s'est installé depuis le début du procès.
«Il faut en parler, pour que ça n'arrive plus»
Si 72 hommes avaient été recensés par les enquêteurs, à partir des photos et vidéos des faits prises par Dominique Pelicot lui-même, seuls 50 ont été effectivement identifiés et arrêtés. Ils sont jugés depuis le 2 septembre devant la cour criminelle d'Avignon. C'est ce qui crée une ambiance un peu «anxiogène», confirme le maire du village, Louis Bonnet. Les agresseurs non identifiés «sont peut-être du village... Ou pas», remarque-t-il. D'où ses interrogations sur l'hypothèse de les «croiser au boulodrome, dans les commerces».
Pour autant, pour l'élu, la question d'une éventuelle cellule psychologique dans le village ou dans les écoles ne se pose pas: «Personne n'est encore venu me dire «je suis marqué, il faut que la mairie m'aide au niveau psychologique». Mais s'il faut le faire, on le fera.» D'autres y pensent pourtant, comme Cécile Paulin, «choquée et bouleversée» par l'affaire Pelicot. Cette massothérapeute a fondé un centre d'accueil pour femmes à Mazan et elle aimerait ouvrir «un espace où la parole peut être libérée».
Pas seulement pour les victimes directes de Dominique Pelicot, mais aussi «pour toutes celles et ceux qui en ont besoin», ainsi qu'aux «victimes collatérales, comme les compagnes des autres accusés», ajoute-t-elle.«Il faut en parler, pour que ça n'arrive plus», insiste-t-elle, «il ne faut pas faire comme si de rien n'était».