Leila Delarive sur la situation en Iran
«Avec un régime aussi sanglant, la seule diplomatie ne résoudra rien»

Tandis que des milliers de personnes sont menacées de mort en Iran pour avoir participé au soulèvement, la Suisse réagit timidement. Leila Delarive, avocate d'origine iranienne et présidente d'une association de soutien aux femmes du pays, explique son désaccord.
Publié: 27.12.2022 à 06:09 heures
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Dernière mise à jour: 16.04.2023 à 11:32 heures
L'avocate d'origine iranienne a décidé de ne pas rester les bras croisés face à la répression du soulèvement populaire dans la république islamique.
Photo: KEYSTONE
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Lauriane PipozJournaliste Blick

Depuis le 15 octobre 2022, l'association «Femme Vie Liberté — Zan Zendegui Azadi Suisse» soutient la liberté et les droits des femmes en Iran. Celles-ci incarnent le combat pour la liberté et le respect des droits fondamentaux, plaide le collectif basé à Pully (VD). Derrière ce projet, il y a notamment une personnalité bien connue des médias romands: Leila Delarive.

L'avocate d'origine iranienne a décidé de ne pas rester les bras croisés face à la répression du soulèvement populaire dans la république islamique, qui menace des milliers de personnes. À Berne, la réaction est plus timide, puisque le sujet n'a été que vaguement abordé lors de la récente session parlementaire. Insuffisant aux yeux de la Vaudoise.

Des élus socialistes se mobilisent pour soutenir cinq Iraniens menacés de mort, mais leur action n’a rien de contraignant. N’est-on pas simplement dans le registre du symbole?
Absolument pas. Il faut faire savoir aux Iraniennes et aux Iraniens qu’ils sont soutenus dans leur démarche, et au régime islamique que nous ne sommes pas d’accord avec ses méthodes.

Pourquoi les parlementaires ne prennent-ils pas plutôt des mesures concrètes?
Ce n’est pas possible, en ce moment. Un signal aurait pu être envoyé par la Suisse lors de cette session d’hiver: la commission sur les affaires étrangères du Conseil national a rendu une motion pour demander que la Suisse s’aligne sur les sanctions prises par l’Union européenne. Mais cet objet ne sera pas discuté avant la session de printemps.

Et pendant ce temps-là, en Iran...
Environ 18’000 personnes sont emprisonnées et deux exécutions ont eu lieu. Faut-il vraiment attendre que d’autres jeunes soient tués? Il est normal que certains parlementaires veuillent en faire davantage — ils sont nos élus et doivent nous rendre des comptes! Même si leurs agendas sont chargés, s’occuper des violations du droit international en Iran est une affaire urgente. Heureusement que des élus en ont conscience!

Mais en quoi des posts sur les réseaux sociaux peuvent-ils accélérer la cadence?
C’est une manière de faire parler de cette cause. D’une part, la jeunesse iranienne est ouverte sur le monde. Elle voit ce qui se passe à l’étranger et doit se savoir soutenue. D’autre part, le régime islamique doit savoir que les autres pays ne sont pas en accord avec ses pratiques, que la communauté internationale a connaissance des exactions commises par ledit régime et devra répondre de ses actes selon les mécanismes internationaux.

Pourquoi avoir choisi de s’engager ainsi?
Notre pays suit les mouvements internationaux. Certains politiciens européens ont décidé de porter leur voix. De manière très engagée, une eurodéputée suédoise s’est par exemple coupé les cheveux en pleine session à Strasbourg en soutien aux femmes iraniennes. Chez nous, cela se fait sous une autre forme — et à une autre échelle, surtout en Suisse romande. Nous en avons entendu parler un peu plus de l'autre côté de la Sarine, où certains parlementaires ont décidé de devenir des ambassadeurs d’Iraniens condamnés à mort.

Le geste de la Suédoise Abir Al-Sahlania, que vous évoquez, c'est de l'activisme. Peut-on vraiment comparer cela à l'attitude de nos élus?
Oui. Même s’ils agissent avec une retenue qui est toute suisse, et que les autres pays européens s’engagent beaucoup plus, dans le même temps. Il n'empêche que la situation en Iran a encore trop peu de visibilité. Plus on relayera les exactions qui ont lieu actuellement en Iran sur les réseaux sociaux, plus l’étau se resserrera autour du régime islamique.

Ne devrait-on pas plutôt privilégier la voie diplomatique?
Il y a une contradiction entre, d’un côté, les très longs processus mis en place en matière de défense des droits humains et, de l’autre, ce qui se passe concrètement en Iran. C’est-à-dire les violations crasses des droits de l’homme qu’il est urgent de faire cesser. Seul l’activisme peut accélérer une prise de décision dans un cas comme celui-là. Dans la mesure où le régime islamique va à l’encontre de la volonté du peuple, qui est réduit au silence, les voix externes sont le seul moyen pour les Iraniennes et Iraniens de se faire entendre.

Concrètement, comment vous engagez-vous?
Nous participons certes aux diverses manifestations, avec notre association Femme, Vie, Liberté. Mais nous relayons surtout le message par des actions telles que des campagnes d’affichage, des prises de position et des contacts avec les autorités. En particulier, notre opération des T-shirts de la liberté recueille une adhésion de plus en plus importante du public.

Nous avons parlé de la société civile et des élus. Un autre organe suisse pourrait-il faire quelque chose pour ces Iraniens emprisonnés? Ou faut-il se résoudre à attendre la session de printemps?
Jusqu'à fin février, seul le Conseil fédéral peut agir. Il doit rendre un rapport sur la question des sanctions, mais il se retranche complètement derrière la question des bons offices.

La neutralité suisse n’est-elle pas notre marque de fabrique? Après tout, Berne doit aussi prendre en compte le rôle de puissance protectrice de l'Iran, puisqu'elle représente les intérêts consulaires et diplomatiques des États-Unis…
Dans ce contexte, j’ai le sentiment que la Confédération utilise la neutralité comme prétexte pour ne pas agir plus fermement. Par exemple, dans un courrier adressé au régime islamique, Ignazio Cassis lui a simplement demandé ce qui est entrepris pour respecter les droits des manifestants. Mais cela ne résoudra rien. On ne peut pas dialoguer avec ce régime! D’ailleurs, la Confédération siégera au Conseil de sécurité de l’ONU dès janvier prochain. Comment peut-elle occuper un siège dans cette organisation internationale et pratiquer ce type de diplomatie? C’est totalement antinomique.

Selon vous, pourquoi notre pays agit-il ainsi?
Je pense que c’est d’abord une question de tradition. Il y a forcément une question d’image. Mais cela pourrait aussi être une volonté des États-Unis. Cette hypothèse va à l’encontre de ce que devraient être les bons offices, à savoir adopter une posture de médiateur indépendant. Mais pour être honnête, je n’en suis pas sûre. Faire prévaloir une posture diplomatique au détriment d’engagements internationaux est pour moi inexplicable et injustifiable. La Suisse ne peut pas continuer à être un acteur courtois qui demande gentiment aux vilains barbus d’être un peu plus respectueux des droits humains.

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