L'attaque au couteau qui a coûté la vie à trois fillettes en Angleterre a donné lieu à un déchaînement de rumeurs et de désinformation en ligne, en particulier dans la mouvance d'extrême droite, pointée du doigt par les autorités pour les heurts de mardi soir.
Une centaine de manifestants ont affronté les forces de l'ordre à Southport et, selon la police, ont incendié des véhicules et «jeté des briques sur une mosquée locale», où plusieurs personnes se trouvaient. Des dizaines de policiers ont été blessés.
A lire sur l'attaque
La police reste vague sur le suspect
Peu après l'agression au couteau lundi à la mi-journée dans cette ville, dans un cours de danse où huit enfants ont également été blessés, des rumeurs ont commencé à émerger sur les réseaux sociaux sur l'identité et la religion du suspect, âgé de 17 ans. Selon la BBC, il serait originaire du Rwanda.
Elles ont ainsi rempli le vide laissé par la discrétion de la police, qui donne peu d'éléments sur ce suspect, dans un contexte doublement sensible au Royaume-Uni d'augmentation du nombre des attaques à l'arme blanche et de montée de la droite dure anti-immigration aux dernières élections législatives en juillet.
L'agresseur, un «migrant illégal»?
Dès lundi soir, l'influenceur masculiniste aux millions d'abonnés sur les réseaux sociaux Andrew Tate avance sur X que l'agresseur est un «migrant illégal», sans qu'aucun élément n'étaye cette allégation. Le message est vu par plus de 14 millions de personnes.
Des internautes affirment qu'il est «musulman» et d'autres que c'est un réfugié, là encore sans élément probant. Certains diffusent un nom à forte consonance arabe et musulmane, ce qui donnera lieu à un rapide démenti de la police, sans pour autant empêcher qu'il ne continue de circuler.
L'impact des influenceurs de droite
Marc Owen Jones, chercheur à Doha et expert du phénomène de la désinformation, a remonté le fil des messages postés sur X à propos de l'attaque. Il a relevé le rôle et l'impact de plusieurs influenceurs, qui ont relayé des messages ciblant les immigrés ou les musulmans, comme le boxeur Anthony Fowler, la figure de la droite dure britannique Tommy Robinson ou encore un compte aux auteurs flous mais très suivi, baptisé «Europe Invasion».
Tous ces comptes «créent une sorte de marée de désinformation» qui s'étend et «parce qu'à cause de la nature de la tragédie, tout le monde est très ému (...), quand cela s'étend en ligne, cela se diffuse aussi hors ligne», explique-t-il à l'AFP. «Ce qui s'est passé à Southport est simplement comme une étincelle née de ce flot de sectarisme qui percole depuis longtemps» en Europe contre les migrants ou les musulmans, ajoute-t-il.
Promouvoir le racisme et la haine
«On observe des interventions stratégiques de personnes qui voient dans ce genre d'évènements une manière de promouvoir leur idéologie (...) raciste, haineuse et de nature à diviser», renchérit Andrew Chadwick, professeur à l'université de Loughborough et spécialiste des questions de désinformation. Il met aussi en exergue la responsabilité de certains élus, comme le chef du parti anti-immigration Reform UK Nigel Farage, qui utilisent un «langage ambigu».
Dans un message vidéo mardi sur X, ce député déclare ainsi: «La police affirme que c'était un évènement non lié au terrorisme (...), je me demande simplement si la vérité ne nous est pas cachée. Je ne connais pas la réponse. Je pense que c'est une question juste et légitime». Certaines personnes qui sont enclines à croire à ces rumeurs infondées peuvent alors y voir «une validation de leurs opinions», juge Andrew Chadwick.
Par ailleurs, «si vous êtes d'extrême droite, vous voulez montrer que, selon vous, les autorités n'agissent pas honnêtement» et, étant donné le niveau actuel de défiance envers les responsables politiques, «cela crée un environnement très difficile à gérer», insiste-t-il.
Les plateformes n'agissent pas assez
Les experts soulignent aussi l'incapacité ou l'absence de volonté de certaines plateformes de modérer ces contenus, en particulier X, dont les moyens alloués à la modération ont été considérablement réduits depuis son achat par Elon Musk.
Le message posté par «Europe Invasion» contenant le nom erroné de l'agresseur présumé est toujours en ligne mercredi à la mi-journée. Pour Marc Owen Jones, ces plateformes n'agissent pas suffisamment «pour supprimer les discours haineux assez rapidement avant qu'ils ne se propagent».