«Discours de Loukachenko en continu»
L'ex-détenue Suisso-Biélorusse Natallia Hersche raconte la torture psychologique

Après sa détention en Biélorussie, Natallia Hersche, qui a la double nationalité suisse et biélorusse, est avant tout déterminée. Elle doit maintenant réorganiser sa vie.
Publié: 20.02.2022 à 10:07 heures
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Dernière mise à jour: 20.02.2022 à 13:46 heures
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«Je ne regrette rien», affirme Natallia Hersche vendredi soir après son atterrissage en Suisse avec Claude Altermatt (à gauche), ancien ambassadeur de Suisse en Ukraine, la conseillère nationale Barbara Gysi et le représentant du DFAE Johannes Matyassy.
Photo: keystone-sda.ch
Fabienne Kinzelmann

Natallia Hersche, 52 ans, possède la double nationalité, suisse et biélorusse. Elle aurait pu mener une vie confortable en Suisse ces dix-huit derniers mois. Prendre le petit-déjeuner avec son compagnon Robert Stäheli, qui vit à Tübach, dans le canton de Saint-Gall, et sa fille Violetta. Prendre un bain chaud quand elle le souhaite.

Mais elle a décidé de se battre pour le mouvement démocratique de la Biélorussie et y a été incarcérée. Et la torture psychologique fait partie des établissements pénitentiaires du dirigeant Alexandre Loukachenko. «Ils mettaient par exemple la radio à plein tube toute la journée. Jusqu’à 22 heures, vous entendiez des informations, de la musique et les discours de Loukachenko en continu», rapporte-t-elle à Blick après sa libération survenue, à la surprise générale, vendredi.

L’envoi de paquets et de lettres lui a été partiellement refusé. Lors de rares pauses, elle pouvait choisir entre manger et se laver, raconte-t-elle dans un courrier à son frère Gennady Kasjan. Au cours de ses 17 mois d’incarcération, elle a été transférée au moins quatre fois, a travaillé dans l’atelier de couture de la prison et nettoyé les toilettes. Si elle n’était pas assez rapide, elle risquait l’isolement.

«Je ne regrette rien»

Face à ces conditions de détention difficiles, le régime a proposé à la prisonnière politique d’effectuer une demande de grâce. Mais pour ce faire, elle aurait dû plaider coupable. «Je n’aurais jamais pu faire ça», s’indigne la native biélorusse, nettement plus mince que lors de son arrestation.

Elle s’était préparée psychologiquement à purger les deux ans et demi auxquels elle avait été condamnée après une manifestation à Minsk, explique-t-elle. Un policier avait affirmé qu’elle lui avait arraché son bonnet d’assaut (ce que Natallia Hersche reconnaît) et qu’elle l’avait blessé (ce qu’elle a toujours nié). «Je n’ai rien fait de mal. Je ne regrette rien», martèle-t-elle.

La Suissesse binationale, qui vivait dans notre pays depuis 2009, a été transportée par le mouvement démocratique biélorusse. Robert Stäheli a décrit l’état d’esprit de sa compagne comme celui d’un «supporter ivre de victoire dont l’équipe est en finale après des décennies».

Loukachenko a sous-estimé les femmes

Comme beaucoup de femmes de son pays, Natallia Hersche est devenue un symbole de protestation contre le régime répressif d’Alexandre Loukachenko. Le dirigeant biélorusse les avait clairement sous-estimées. Après avoir exclu de l’élection ou emprisonné des concurrents masculins, leurs épouses et leurs soutiens se sont soulevés. La femme au foyer Svetlana Tikhanovskaya s’était notamment présentée pour son mari emprisonné et a gagné.

Lorsque l’indéboulonnable président s’est déclaré vainqueur et a fait réprimer les protestations, des femmes biélorusses ont parcouru les villes en portant des vêtements rouges et blancs, des drapeaux et des parapluies, et ont distribué des fleurs aux forces de sécurité. Mais beaucoup ont payé cher leur courage, en passant par la case prison.

Comparée à Guillaume Tell

En détention, Natallia Hersche était un modèle pour d’autres détenues. Elle refusait le travail forcé, entamant même une grève de la faim. Une éminente codétenue, la joueuse de basket-ball de 38 ans Alena Leutschanka, raconte avec admiration comment la Suisso-Biélorusse a interpellé les gardiens munis de matraques sur la piètre nourriture de la prison.

Aurait-elle osé faire cela sans son passeport suisse? Elle s’est aussi posé la question, explique volontiers Natallia Hersche. La Suisse lui a en tout cas appris à s’engager pacifiquement pour la liberté et la démocratie, affirme celle qui a déjà été décrite comme une «Guillaume Tell au féminin». Svetlana Tikhanovskaya, devenue leader de l’opposition, l’a qualifiée de «véritable héroïne» et d'«exemple de courage pour les Biélorusses».

Son travail l'attend

«Dieu m’a donné la force de tenir bon», témoigne Natallia Hersche. Elle n’a apparemment pas dû faire de compromis pour sa libération, révèle-t-elle. Le département des affaires étrangères le confirme: il n’y a pas eu de deal avec le président biélorusse.

Natallia Hersche a maintenant retrouvé sa liberté. Quels sont ses plans? Tout d’abord, prendre un bon bain («J’en rêve!») et, ensuite seulement, réfléchir à la suite des événements. Selon la SRF, son chef a gardé son poste vacant pendant toute la durée de son incarcération.

Pour le reste, on n’en sait pas beaucoup plus sur les projets de la Suisso-Biélorusse, hormis qu’elle est aujourd’hui une véritable activiste: elle affirme vouloir s’engager pour un avenir démocratique dans son pays. Elle souhaite toutefois nuancer la bonne nouvelle de sa libération: elle n’est qu’une ancienne détenue politique parmi tant d’autres. Selon les estimations actuelles, environ 1100 prisonniers seraient encore derrière les barreaux pour leur opposition au régime autoritaire d’Alexandre Loukachenko.

(Adaptation par Lauriane Pipoz)

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