De nombreuses voix critiques se font entendre
Tout le monde ne pleure pas le décès de la reine Elizabeth II

Alors que les médias britanniques ne parlent que du décès de la reine Elizabeth II, les opposants à la monarchie, qui représenteraient près d'un quart de la population britannique, essaient de faire entendre leur voix. Plusieurs ont été arrêtés lundi en manifestant.
Publié: 12.09.2022 à 20:31 heures
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Les voix qui souhaitent abolir la monarchie britannique se font de plus en plus entendre. Ici, des Jamaïcains protestent lors de la visite du prince William et de la princesse Kate en mars 2022.
Photo: AFP
Laszlo Schneider, avec ATS

Qu'il s'agisse de reportages sur son règne, du règlement de la succession ou du rituel funéraire minutieusement planifié, la couverture médiatique de la mort de la reine Elizabeth II ne laisse guère de place aux voix critiques dans les médias britanniques, ni même aux programmes de divertissement.

Déjà après la mort du prince Philip (1921-2021), cette effervescence médiatique avait entraîné un nombre un nombre record de manifestations de mécontentement. La BBC avait même dû mettre en place un formulaire de plainte sur son site Internet pour les personnes qui trouvaient que le tapage royal allait trop loin.

Il semble que nous n’en soyons pas encore là cette fois-ci, même si plusieurs personnes ont été interpellées lundi, pour avoir sifflé le cortège funéraire ou invectivé des membres de la famille royale. Mais il existe bel et bien des Britanniques et des sujets dans les anciennes colonies qui n’apprécient ni l’agitation autour de la mort de la reine, ni la monarchie dans son ensemble.

La monarchie, un «affront à la démocratie»

Ainsi, deux jours seulement après le décès de la reine, le groupe d’intérêt Republic, qui milite pour un chef d’État élu, a appelé à un «débat national» sur l’avenir de la monarchie. «La proclamation d’un nouveau roi est un affront à la démocratie», a déclaré le porte-parole de Republic, Graham Smith, selon un communiqué. Selon le groupe, plus d’un quart des Britanniques sont en faveur de l'abolition de la monarchie.

Les voix critiques marginalisées dans les médias

L’un d’entre eux est Marc Tuft, un professeur de sport du quartier populaire d’Abbey Wood à Londres. «Je respecte l’œuvre de la vie de la reine et je reconnais qu’elle est très populaire et vénérée», dit-il dans un entretien avec l’agence de presse allemande.

Mais personnellement, il ne se sent pas touché par sa mort. «C’est comme un feuilleton», estime-t-il. Certes, les sentiments des gens sont en partie réels, mais il estime que beaucoup de ce que l’on voit à la télévision n’est qu’une campagne de relations publiques. Le sexagénaire critique en outre le fait que, pendant ce temps, les personnes qui souhaiteraient parler de l'abolition de la monarchie n'ont pas le droit à la parole dans les médias.

John Coulter, qui travaille dans la post-production pour la télévision et le cinéma et vit dans le même quartier, est du même avis. Pour lui, la famille royale incarne une société de classe dans laquelle l’ascension sociale est difficile. De son point de vue, elle peut conserver ses titres et ses châteaux, mais il souhaite que le pays soit représenté par un élu. «Sinon, nous n’aurions jamais un musulman ou une personne juive à la tête de l’État», dit-il. Selon lui, tout le monde devrait avoir la possibilité d’accéder à la fonction de chef d’État.

Liz Truss aussi était autrefois opposée à la famille royale

Un point de vue que la nouvelle Première ministre britannique, Liz Truss, a également défendu autrefois. Lorsqu’elle était membre du parti libéral-démocrate au milieu des années 1990, elle a déclaré un jour devant une caméra de télévision qu’il était «honteux» que des hommes soient nés pour régner. Elle a changé d’avis depuis.

En Écosse, la question de l'indépendance fait régulièrement l’objet de discussions. Le fait que la monarchie y ait de nombreux opposants s’est notamment manifesté lors de la proclamation du roi Charles III comme nouveau roi à Edimbourg - de nombreuses huées se sont fait entendre dans la foule.

Quid des anciennes colonies britanniques?

Bien plus qu’une opinion minoritaire, les anciennes colonies des Caraïbes critiquent la monarchie. Le chef du gouvernement d’Antigua-et-Barbuda a par exemple annoncé, immédiatement après la mort de la reine, qu’il organiserait un référendum sur la séparation de la famille royale britannique dans les trois ans.

À la Barbade, qui n’a renoncé à la famille royale britannique et s’est déclarée république qu’en novembre dernier, et en Jamaïque, où le Premier ministre Andrew Holness avait laissé entendre en mars qu’il se séparerait de la couronne, les chefs de gouvernement ont présenté leurs condoléances et exprimé leur admiration pour Elizabeth II. Mais des voix caribéennes se sont également élevées pour rejeter cette idée, compte tenu de l’histoire de la domination coloniale britannique.

Selon un rapport du journal «Jamaica Star», les représentants de la religion rastafari en Jamaïque – dont l’adepte le plus connu était Bob Marley – ne voulaient pas participer au deuil national décrété dans le pays. Cela n’est pas dirigé contre la reine personnellement, mais contre le système colonial qu’elle a dirigé, a déclaré le prêtre Trevor Stewart.

Certains sont allés plus loin. L’écrivain Ruel Johnson, originaire de la Guyane sud-américaine, a par exemple cité sur Facebook un poème de Martin Carter, qui avait été emprisonné en 1954 pour avoir protesté contre la domination britannique sur ce petit pays – à l’époque, Elizabeth II était reine et l’actuelle Guyane était une colonie britannique. Ruel Johnson a écrit à ce sujet: «Connaissez l’histoire. On vous a donné une image soigneusement idéalisée de tasses de thé et de crumpets (ndlr: une variété de petits pains consommés au Royaume-Uni), alors que ce qui existe a été construit sur le sang et l’injustice.»

«Que ses douleurs soient insupportables»

C’est la professeure Uju Anya de l’université Carnegie Mellon aux États-Unis, originaire du Nigeria, qui a certainement provoqué le plus d'émoi. Alors qu’Elizabeth II était en train de mourir, elle a tweeté: «Que ses douleurs soient insupportables».

Plusieurs personnalités, dont le fondateur d'Amazon, Jeff Bezos, ont vivement critiqué son message. Twitter a retiré la publication, tandis que l'université Carnegie Mellon s'est distanciée de son employée dans un communiqué.

La professeure a écrit en guise d’explication, en faisant référence à la guerre civile nigériane: «Si quelqu’un attend de moi que j’exprime autre chose que du mépris pour la monarque ayant supervisé un gouvernement qui a soutenu le génocide qui a massacré et déplacé la moitié de ma famille et dont les survivants tentent toujours de surmonter les conséquences, vous pouvez continuer à faire des vœux pieux.»

(Adaptation par Quentin Durig)

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