Dites-moi ce qui vous fait rire, et je comprendrai mieux ce qui ne va plus chez nous. Ce mercredi 31 août, «Le Canard enchaîné» nous offre, à partir d’un sujet de Swissinfo, une parfaite illustration de cette simple évidence à propos de la sacro-sainte neutralité helvétique: lorsqu’une explication devient incompréhensible, voire un tantinet risible, mieux vaut d’urgence revoir ses arguments.
Un joli jeu de mots
Le titre de l’article, hebdomadaire satirique oblige, est un joli jeu de mots: «La neutralité suisse en berne». Bien vu. Accoler, dans une formule, la neutralité et la capitale du pays ne pouvait que faire mouche. Surtout au vu de la phrase qui suit: «Pour la Confédération, cette formule magique de la neutralité perpétuelle avait pour avantage de garder son économie, ses banquiers, ses diplomates et ses soldats au sec, mais aussi de protéger la cohésion nationale».
On décernera un petit pan sur le bec au Canard qui confond la neutralité et la paix perpétuelle scellée entre la Suisse et la France par le traité de Fribourg du 25 novembre 1516. Avant de se remettre à lire et de se délecter de la suite à propos des différentes options laissées au pays par la guerre en Ukraine: «Si la neutralité suisse avait été – plus ou moins – comprise, alors même que les hordes nazies massacraient à ses frontières, ses voisins pressent désormais le drapeau rouge à croix blanche de rallier la ronde des étoiles sur fond bleu». Exit la Suisse neutre, bonjour la Suisse européenne…
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Article à charge
On pourra rire de cet article évidemment réducteur et à charge. Les rancœurs sont tenaces du côté français, depuis le Conseil fédéral a préféré faire voler les pilotes helvètes dans des F35 style Top Gun, faisant passer les Rafales de Dassault pour des zincs de seconde catégorie, comme ceux de la bande dessinée des Chevaliers du ciel «Tanguy et Laverdure» dans les années 60 et 70.
Sauf que l’hebdomadaire a bien lu le rapport demandé par la Commission de politique extérieure du Conseil des États sur la neutralité. Et là, le palmipède favori des Français frétille dans son étang de méchancetés. Pour lui, les trois options proposées dans ce document sont «un peu lunaires».
Le «statu quo» (à savoir la neutralité assortie des sanctions) ? «Bonne chance vis-à-vis de Moscou et de Pékin!». La «neutralité ad hoc»? «En langage technocratique, l’abandon de la neutralité permanente», bref, une sorte d’intérim géopolitique à géométrie variable.
La «neutralité coopérative» enfin, prônée par Ignazio Cassis? «Un terme exotique du dedans dehors qui pourrait permettre au pays de choisir les sanctions la tête haute, d’autoriser le survol de son territoire, de livrer des armes à l’Ukraine et de serrer la main de l’Otan tout en gardant le mot «neutralité» au frais. On ne sait jamais..». En clair, de l’opportunisme fédéral à tous les étages.
Moqueries du volatile
La lecture du Canard est faite pour rire. Les moqueries de ce volatile volontiers anarchiste qui jadis railla le général de Gaulle et le caricatura en Louis XIV, sont plutôt un honneur. Mais les plumes de cet oiseau-là sont acérées. Elles sont trempées dans une encre qui fait mal et servent à guider des flèches qui touchent leur but.
Ici, le sujet est simple, et Christoph Blocher s’en réjouira sûrement: même si le monde change et que le droit international donne à la diplomatie suisse de solides arguments pour justifier l’application des sanctions, certaines évidences se dissipent avec les réalités de l’époque. Lorsque la neutralité devient trop compliquée à expliquer, plus personne ne la comprend. A commencer par ceux qui, aux frontières de la Suisse, doivent la respecter au premier chef.