Rien de tel qu’une bonne guerre pour remplir les poches des trafiquants de tous bords. Une nouvelle fois, cet adage vieux comme l’humanité est en train de se vérifier à la faveur du conflit en Ukraine. Les premiers grands gagnants, évidemment sont les trafiquants d’armes, pardon, les marchands d’armes.
Rien de tel, pour assurer le ravitaillement crucial en munitions et en armes peu sophistiquées de l’armée ukrainienne (fusils-mitrailleurs, pistolets, mines antipersonnel, grenades...) que des intermédiaires bien connectés et capables de prendre les risques que les Etats pourvoyeurs de missiles, canons et autres blindés, n’ont pas toujours envie de prendre.
Mais un autre type de trafiquants profite aussi du séisme en cours sur les bords de la mer Noire: les narcos, pourvoyeurs de cocaïne ou d’héroïne à travers la Turquie ou l’Afrique. Car pour ces rois des zones grises engendrés par les conflits, les sanctions internationales contre la Russie sont une aubaine.
Routes du trafic de drogue déplacées
L’explication est assez simple selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC) basé à Vienne. «Le conflit a déplacé les routes existantes du trafic de drogue en dehors de l’Ukraine, mais il peut également exacerber l’instabilité qui laisse le trafic et la fabrication de drogue prospérer. Le conflit est également susceptible d’avoir un impact sur la consommation future de drogues», avertissait dès le mois de mai un de ses rapports.
Explications: le besoin croissant d’argent cash généré par le conflit dans un pays, l’Ukraine, où la mafia locale est omniprésente. Or compter sur l’aide internationale ou les envois des familles à l’étranger ne suffit pas. La drogue, elle, peut rapporter beaucoup plus gros.
Soit en aidant à l’acheminer, soit en la fabriquant dans des laboratoires clandestins: «Les statistiques d’avant-guerre étaient déjà inquiétantes, poursuit le rapport de l’UNODC. Une augmentation significative du nombre de laboratoires clandestins d’amphétamines avait été enregistrée entre 2019 et 2020, passant de 17 laboratoires démantelés en 2019 à 79 en 2020. En 2020, l’Ukraine comptait le nombre le plus élevé de laboratoires démantelés dans le monde. Mais pour un labo repéré, combien continuaient à fonctionner?»
Quatre bonnes nouvelles pour les narcos
Les experts de l’ONU listent quatre catégories de raisons pour lesquelles les narcos soucieux d’exporter leurs produits stupéfiants vers les consommateurs européens ont toutes les raisons de se réjouir.
La première est l’accroissement du trafic maritime sur certaines routes considérées de longue date comme problématiques du point de vue du trafic de drogue, par exemple entre le Maghreb (où l’Algérie est un exportateur massif de gaz) et l’UE, ou entre les pays du Golfe et l’UE. La seconde est la mobilisation prioritaire des moyens de surveillance aériens (drones, avions patrouilleurs…) pour des missions liées à la guerre en Ukraine.
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La troisième est le besoin, pour les mafias comme pour les oligarques ukrainiens ou russes, de trouver des ressources financières qui ne tombent pas sous le radar des sanctions, dont qui ne transitent pas par le système bancaire classique. La quatrième, enfin, est la situation géopolitique dans la périphérie du continent européen. La Serbie, alliée de la Russie, demeure une enclave très mal contrôlée où de gros trafiquants de cannabis tiennent le haut du pavé.
Au sud, le retrait des troupes françaises du Sahel rouvre les routes de la cocaïne latino-américaine, tenues par les groupes djihadistes qui reçoivent la marchandise dans les ports du golfe de Guinée (Bénin, Togo, Côte d’Ivoire) et la remonte via le Mali, puis le Sahara.
Le grand remue-ménage maritime, côté containers
L’autre raison évoquée par les enquêteurs onusiens est le grand remue-ménage dans le trafic mondial des containers, dont les trafiquants de drogue sont souvent les passagers clandestins. Des pays comme la Moldavie ou la Géorgie, qui commerçaient hier avec l’Ukraine et se retrouvent en première ligne face à la Russie, sont alimentés par des norias de camions. Or ces deux pays sont tout sauf étanches au trafic de drogue.
«Certaines saisies importantes ont été signalées près de la mer Noire et près de la République de Moldavie en 2021 note l’UNODC. L’héroïne transitant par Ukraine était souvent acheminée clandestinement d’Afghanistan via la République islamique d’Iran, et les pays du Caucase, notamment l’Azerbaïdjan et la Géorgie, puis via la mer Noire. De là, elle aboutissait en général en Pologne ou en Roumanie.»
Or qui dit convois routiers dit risques accrus de trafic, alors que les zones frontières sont embouteillées et que les douaniers sont mobilisés par les passages de personnes.
Les narcos soudoient le personnel des ports et des navires
Même constat pour le trafic maritime. «Plus les navires gaziers et les pétroliers vont traverser l’Atlantique ou la Méditerranée, plus les risques de cargaison clandestine de drogue augmentent.» C’est mathématique, juge un ancien policier français qui a assisté, en 2021, à plusieurs saisies en haute mer opérées par le porte-hélicoptères Dixmude. «Les narcos soudoient le personnel des ports, les dockers et les équipages des navires.»
Qu’attendre aussi des cargos céréaliers qui vont maintenant pouvoir reprendre la mer, après l’accord signé entre l’Ukraine et la Russie sur les exportations de blé? Lors d’un récent séminaire organisé à Rabat (Maroc) par le think-tank marocain «Policy Center for the New South», cette question de la sécurité maritime a été mise en avant, tant sur le plan du narcotrafic que des risques migratoires.
Phénomème classique: les séquelles des guerres, en matière de criminalité au long cours, se font aussi sentir loin des champs de bataille.