La Russie et les Occidentaux ont échangé jeudi en Turquie 26 de leurs ressortissants, dont le journaliste américain Evan Gershkovich, dans le plus grand accord de libération de prisonniers depuis la fin de la Guerre froide. Outre le reporter du Wall Street Journal détenu depuis mars 2023, figure également l'ex-Marine Paul Whelan, emprisonné pour espionnage en Russie depuis fin 2018.
Les services de renseignement turcs ont «mené à Ankara l'opération d'échange de prisonniers la plus importante de ces derniers temps», a indiqué la présidence turque, précisant qu'elle concernait «26 personnes provenant des prisons de sept pays différents (Etats-Unis, Allemagne, Pologne, Slovénie, Norvège, Russie et Biélorussie)».
«Des décisions courageuses et audacieuses»
Les ressortissants russes, dont l'agent présumé Vadim Krassikov qui était en prison en Allemagne pour l'assassinat d'un séparatiste tchétchène, ont été accueillis jeudi soir à la sortie de l'avion par le président Vladimir Poutine à Moscou.
A Washington, Joe Biden a remercié les «décisions courageuses et audacieuses» prises par des alliés des Etats-Unis pour cet échange «historique», louant particulièrement le rôle de l'Allemagne et de la Turquie. Plus tôt, dans un communiqué, le président américain avait qualifié l'échange de «prouesse diplomatique».
«Depuis la Guerre froide, il n'y a jamais eu un nombre aussi important de personnes échangées de cette manière», s'est félicité Jake Sullivan, conseiller à la Sécurité nationale de la Maison Blanche. «Et il n'y a jamais eu, à notre connaissance, d'échange impliquant autant de pays».
Un assassin libéré
La Maison Blanche a aussi indiqué que Washington avait œuvré pour que la Russie libère l'ex-ennemi numéro un du Kremlin, Alexeï Navalny, avant qu'il ne meure en février dans une prison de l'Arctique, dans des circonstances troubles.
«Dix prisonniers, dont deux mineurs, ont été transférés en Russie, treize en Allemagne et trois aux Etats-Unis», a précisé Ankara, qui a ensuite annoncé que les sept appareils impliqués dans l'opération avaient tous quitté son territoire.
Les services de sécurité russes (FSB) ont, eux, confirmé le retour de «huit citoyens russes» et «deux enfants mineurs». Le Kremlin a aussi annoncé que Vladimir Poutine avait gracié les treize personnes condamnées en Russie et libérées dans le cadre de l'accord. L'agent russe présumé Vadim Krassikov a été remis à la Russie. Il était emprisonné en Allemagne pour l'assassinat d'un ex-commandant séparatiste tchétchène à Berlin.
Rico Krieger, un Allemand condamné au Bélarus pour «terrorisme» et «mercenariat», et l'opposant russe Ilia Iachine, condamné fin 2022 en Russie à huit ans et demi de prison pour avoir dénoncé des crimes imputés à Moscou en Ukraine, doivent, eux, arriver en Allemagne.
Pour Berlin, la décision de relâcher un agent présumé du FSB condamné pour meurtre a été «difficile» mais elle a «sauvé des vies», a déclaré le chancelier Olaf Scholz à l'aéroport de Cologne où certains ex-prisonniers sont attendus.
Premier échange depuis 2022
Le président Biden a accueilli jeudi à la Maison Blanche, alors que l'échange avec la Russie était en cours, les familles de M. Gershkovich, M. Whelan, de l'opposant russe Vladimir Kara-Mourza et d'Alsu Kurmasheva, journaliste russo-américaine qui était détenue en Russie.
S'agissant des «deux mineurs» évoqués par Moscou, ils seraient les enfants d'un couple d'espions russes, Artem Viktorovich Dultsev et Anna Valerevna Dultseva, arrêtés fin 2022 en Slovénie, et qui avaient été placés en famille d'accueil, selon les médias slovènes.
Il s'agit du premier échange entre Moscou et les Occidentaux depuis la libération fin 2022 de la joueuse américaine de basket Brittney Griner, détenue en Russie pour une affaire de stupéfiants, contre celle du célèbre trafiquant d'armes russe Viktor Bout, emprisonné aux Etats-Unis.
«C'est un match nul»
Pour Dmitri Oreschkine, un analyste politique indépendant basé à Riga, «aucun des deux camps n'a gagné». «C'est un match nul (...). Poutine n'aurait jamais autorisé un accord pouvant être interprété comme un succès pour l'Amérique, l'Allemagne ou l'Occident en général», a-t-il dit à l'AFP.
Les Etats-Unis ont fait pression sur Moscou pour obtenir la libération d'Evan Gershkovich, condamné le 19 juillet en Russie à 16 ans de prison à l'issue d'un procès expéditif pour «espionnage», une accusation jamais étayée. Le journaliste, sa famille, ses proches ainsi que la Maison Blanche n'ont eu de cesse de dénoncer une affaire montée de toutes pièces. Agé de 32 ans, M. Gershkovich, ancien collaborateur de l'AFP, avait été arrêté alors qu'il était en reportage à Ekaterinbourg (Oural). La famille du journaliste a exprimé dans un communiqué son «soulagement» et sa «joie».
«Nous sommes immensément soulagés d'apprendre que le calvaire d'Evan Gershkovich, qui a duré 16 mois, devrait enfin prendre fin», a également réagi l'ONG Reporters sans frontières.
Deux collaboratrices d'Alexeï Navalny, Lilia Tchanycheva et Ksenia Fadeïeva, figurent également parmi les personnes libérées. Tout comme l'artiste Alexandra Skotchilenko, arrêtée en 2022 en Russie pour avoir remplacé des étiquettes de prix de supermarchés par des messages dénonçant l'offensive contre l'Ukraine, ou encore le jeune Russo-Allemand Kevin Lik.
Vladislav Kliouchine, condamné aux Etats-Unis pour fraude, fait également partie des prisonniers libérés.