L'incursion ukrainienne en cours dans la région russe de Koursk semble être une attaque sans précédent visant, selon les experts, à détourner les ressources russes d'autres régions ou à saper le moral en Russie. A Kiev, les autorités observent un silence inhabituel: personne ne reconnait officiellement l'existence de cette opération et les hauts responsables se refusent à tout commentaire, même sous couvert de l'anonymat.
De son côté, Moscou ne diffuse que de rares informations, cherchant un équilibre entre la dénonciation de cette escalade et la volonté d'éviter la panique. Alors que les combats sont entrés dans leur troisième jour, voici ce que l'on sait de cette incursion transfrontalière:
Un millier de soldats et des dizaines de chars
Des forces ukrainiennes ont lancé mardi matin, à environ 08H00 heure de Moscou (06H00 GMT), une attaque dans la région de Koursk dans le sud-ouest de la Russie, selon l'armée russe. L'Ukraine a engagé un millier de soldats et quelques dizaines de chars et autres véhicules blindés, selon la Russie. Celle-ci a accusé les forces ukrainiennes de frapper aveuglément des bâtiments civils et a dépêché des renforts soutenus par des avions de combat et de l'artillerie pour repousser l'attaque dans la région, où l'état d'urgence a été décrété.
Au moins cinq civils y ont été tués et 31 autres blessés depuis le début de l'incursion, ont dit des responsables russes mercredi. Plusieurs milliers de personnes ont fui la zone des hostilités côté russe, tandis que l'Ukraine a ordonné l'évacuation d'environ 6000 personnes dans la région de Soumy, de l'autre côté de la frontière.
Une opération militaire d'ampleur inhabituelle
L'attaque en cours paraît inhabituelle en raison de son ampleur supposée et parce qu'elle semble impliquer des troupes régulières ukrainiennes. Des combattants en provenance d'Ukraine ont auparavant déjà effectué plusieurs brèves incursions en Russie, revendiquées par des unités prétendant être composées de Russes combattant côté ukrainien, à savoir le «Corps des volontaires russes» et la «Légion pour la liberté de la Russie».
Ainsi, à la mi-mars, pendant les élections russes, des groupes d'assaut ukrainiens ont tenté à plusieurs reprises de s'emparer de territoires dans la région voisine de Belgorod, selon des responsables. Les alliés de l'Ukraine ont semblé pris de court par l'attaque de mardi. Washington a dit avoir contacté Kiev pour obtenir plus d'informations. Analyste militaire basé à Kiev, Serguiï Zgourets a déclaré à l'AFP que «les photos montrant la destruction d'équipements russes et ukrainiens, des hélicoptères, le recours à l'aviation, l'utilisation d'artillerie des deux côtés» étaient les signes d'une opération militaire d'ampleur.
Une incursion de 10 kilomètres
Les troupes ukrainiennes ont avancé jusqu'à dix kilomètres à l'intérieur du territoire russe, a affirmé l'Institute for the Study of War (ISW) jeudi. Cette poussée s'est concentrée sur le hub logistique de Soudja, une ville de 5500 habitants à huit kilomètres de la frontière ukrainienne.
Des blogueurs militaires russes ayant des liens avec l'armée ont aussi fait état d'avancées significatives, certains affirmant que les troupes ukrainiennes contrôlaient en partie Soudja et des villages.
Des objectifs multiples
Les objectifs de cette opération ne sont pas encore clairs pour l'instant et, faute de commentaires officiels ukrainiens, les experts avancent plusieurs hypothèses. Pour certains, l'incursion pourrait servir à attirer des réserves russes et éloigner celles-ci de la région ukrainienne de Kharkiv (nord-est), où la Russie a lancé une offensive en mai.
«Pour l'instant, il s'agit d'une opération limitée, dont la conséquence directe sera de réduire la stabilité du groupement russe qui attaque ou rôde autour de Kharkiv», estime l'analyste militaire Oleksiï Kopytko sur les réseaux sociaux. «A en juger par l'échelle et l'intensité de l'opération ukrainienne, tôt ou tard, l'ennemi sera forcé de retirer des troupes d'autres théâtres d'opérations», note Kostiantyn Machovets sur Facebook.
L'attaque pourrait aussi avoir un effet psychologique, en remontant le moral des Ukrainiens qui voient leur armée à la peine ailleurs, tout en déstabilisant la Russie.
«Un autre objectif est de montrer à la société russe ce que cela fait quand votre territoire est occupé», dit à l'AFP Serguiï Solodky, un haut responsable du groupe de réflexion New Europe Centre à Kiev. Enfin, certains affirment que si l'Ukraine parvenait à conserver ces territoires, elle pourrait en faire une carte à jouer face à la Russie dans le cadre d'hypothétiques négociations de paix.
Il est crucial pour l'Ukraine de mettre tous les atouts de son côté avant l'élection présidentielle américaine qui pourrait de nouveau installer Donald Trump, sceptique à son égard, à la Maison Blanche.