Avertissement à Berne
«Pour les Européens, la Suisse n'est déjà plus tout à fait neutre»

L'ancien ministre des Affaires étrangères finlandais Alexander Stubb est un fervent partisan de l'adhésion de son pays à l'OTAN. À la veille du sommet de l'Alliance Atlantique à Madrid les 29 et 30 juin, il estime que la Suisse a déjà en partie abandonné sa neutralité.
Publié: 27.06.2022 à 14:21 heures
|
Dernière mise à jour: 27.06.2022 à 14:55 heures
La Confédération fait pour l’heure encore partie, aux côtés de la Suède et de la Finlande, du Partenariat pour la paix entre l’OTAN et des États tiers, au sein duquel figurent toujours sur le papier l’Ukraine, la Russie et la Biélorussie.
Photo: AFP
Blick_Richard_Werly.png
Richard WerlyJournaliste Blick

La sacro-sainte neutralité Suisse? «Elle n’a plus de sens. Il est devenu, dans le monde d’aujourd’hui, très difficile d’être vraiment neutre et intellectuellement honnête.» Celui qui nous parle ainsi, en compagnie de plusieurs journalistes européens, est l’ancien ministre des Affaires étrangères finlandais Alexander Stubb, 54 ans.

Depuis Helsinki, cet ancien familier des négociations internationales, devenu universitaire, répond dans un français parfait aux interrogations sur l’abandon de la neutralité par son pays et par la Suède, tous deux désormais candidats à entrer dans l’OTAN. La Confédération fait pour l’heure encore partie, aux côtés de la Suède et de la Finlande, du Partenariat pour la paix entre l’OTAN et des États tiers, au sein duquel figurent toujours sur le papier l’Ukraine, la Russie et la Biélorussie.

L’Alliance Atlantique, qui est la plus puissance coalition militaire au monde, se réunit ce mardi et mercredi en sommet à Madrid (Espagne), en présence de Joe Biden. Objectif: répondre à la Russie, ce grand voisin que les Finlandais ont ménagé pendant des décennies, avant de se ranger fermement du côté occidental avec la guerre en Ukraine. La Suisse ne sera pas représentée. Même si, en mai dernier, en marge du forum de Davos, la Conseillère fédérale Viola Amherd a rencontré le secrétaire général norvégien, Jens Stoltenberg, qui s’est dit ouvert à «une relation plus étroite».

Les sanctions, arme de guerre

Finlande-Suède… Et demain la Suisse, qui vient elle aussi d’acheter 36 F-35 américains? «La neutralité de la Finlande n’était pas idéologique commente Alexander Stubb. Elle était toujours pragmatique. Nous participions à presque tous les exercices militaires de l’OTAN. Et disons la vérité: nos 62 avions de chasse américains F-18 et les 64 appareils F-35 que nous venons d’acheter en novembre 2021 n’ont jamais eu pour but de nous défendre contre notre voisin suédois!»

Le débat sur la neutralité helvétique a-t-il davantage de raison d’être? «Je connais bien le cas de la Suisse et celui de l’Irlande, qui est également neutre, poursuit-il. On peut bien sûr affirmer rester neutre en théorie, et le justifier par des arguments juridiques. Soit. Mais le fait est qu’en termes de sécurité face à Poutine, les pays neutres n’ont plus de marge de manœuvre, surtout s’ils sont membres de l’Union européenne comme Malte, l’Irlande ou l’Autriche. Mon opinion est simple: appliquer les sanctions européennes contre la Russie, c’est rompre la neutralité. Pourquoi? Parce que les sanctions sont une arme de guerre».

Un pas irréversible?

La Confédération serait donc, en s’alignant sur l’Union européenne, en quelque sorte entrée en guerre, franchissant un pas irréversible? Ce que reprochent d’ailleurs au Conseil fédéral les tenants d’une neutralité intransigeante, comme Christoph Blocher, défenseur d’une initiative pour éviter un rapprochement avec l’OTAN? «Il faut raisonner en termes géopolitiques, pas seulement militaires, juge Alexander Stubb. Aujourd’hui, dans le contexte du conflit en Ukraine, la guerre se déroule sur différents théâtres. La monnaie est une arme de guerre. Les cyberattaques sont des armes de guerre. L’information est une arme de guerre.»

Rejoindre l’OTAN n’est donc, pour la Finlande et la Suède, que la traduction d’un basculement stratégique. Pas une véritable révolution. «Les Suédois ont toujours défendu leur neutralité de façon plus politique, continue-t-il. Pour nous, Finlandais, notre neutralité fut d’abord le résultat de la guerre avec la Russie de l’hiver 1939. Elle nous a imposé des concessions lourdes, comme le fait de garder un relatif silence public sur l’Union soviétique, ou de ne pas pouvoir traduire en finlandais 'l’Archipel du goulag' de Soljenitsyne.»

Pragmatisme scandinave

Ce pragmatisme, logique pour des pays scandinaves en première ligne géographique face à la Russie, vaut-il aussi pour la Suisse enclavée au milieu du continent européen? «Que rapporte la neutralité lorsque vous avez d’un côté une Russie impérialiste, isolée, agressive et de l’autre la quarantaine de pays européens qui vous entourent?, interroge Alexander Stubb. La réalité est que l’OTAN est amenée à devenir plus européenne. La sécurité du continent, sur le plan énergétique par exemple, fait partie des sujets sur lesquels l’Alliance a aussi son mot à dire vu le caractère stratégique des infrastructures d’approvisionnement. Je ne vois comment la neutralité d’un pays comme la Suisse ne peut pas être affectée.»

Et de conclure d’une phrase simple, mais éloquente: «De toute façon, pour les Européens, au fil de l’adoption des six paquets de sanctions économiques et financières contre Moscou, la Suisse n’est déjà plus tout à fait neutre.»

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la