Blocher, chef de file de l'UDC
«L'initiative populaire sur la neutralité sera soumise au peuple!»

Pour le leader de l'UDC Christoph Blocher, la Suisse est en guerre depuis qu'elle soutient les sanctions de l'UE contre la Russie. Il veut éviter que le gouvernement ne collabore trop étroitement avec l'OTAN et espère que le peuple lui donnera raison.
Publié: 10.04.2022 à 06:32 heures
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Dernière mise à jour: 10.04.2022 à 06:33 heures
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Pour Christoph Blocher, figure de proue de l'UDC, la Suisse est devenue un belligérant en participant aux sanctions contre la Russie.
Photo: Keystone
Pascal Tischhauser

Le chef du parti libéral-radical, Thierry Burkart, s'est prononcé dans une tribune publiée dans la «Neue Zürcher Zeitung» et une interview dans les journaux Tamedia pour une coopération plus étroite avec l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN). Pour lui, la Suisse devrait participer aux programmes de l'alliance de défense militaire «Partnership Interoperability Initiative» et «Enhanced Opportunities Partner».

Christoph Blocher défend une autre position: le maître à penser de l'UDC assure vouloir lancer une initiative populaire pour inscrire la neutralité totale dans la Constitution.

Le président du PLR Thierry Burkart demande une coopération étroite de la Suisse avec l'OTAN. Quelle est votre position à ce sujet?
Christoph Blocher:
En cas de crise, il ne faut pas jeter par-dessus bord une stratégie qui a fait ses preuves sur le long terme, juste parce que cela semble la bonne chose à faire sur le moment. La neutralité protège la Suisse de la guerre depuis 200 ans. Nous devons nous y tenir. Nous ne devons pas nous tourner vers l'OTAN: contrairement à l'armée suisse, c'est une armée d'attaque.

Mais il n'est pas prévu de devenir membre de l'OTAN, juste de mieux collaborer avec elle...
Nous avons déjà fait de mauvaises expériences par le passé. Nous participons au Partenariat pour la paix de l'OTAN. Cela a mené à une réduction considérable de notre armée. Par ailleurs, il n'a pas été possible d'empêcher notre participation à ce partenariat. Il n'y a pas eu de votation populaire sur le sujet.

Thierry Burkart argumente que les missiles intercontinentaux peuvent attaquer la Suisse. Seule une coopération avec l'OTAN pourrait empêcher cela. N'a-t-il pas raison?
Il est certain que si la Suisse était attaquée en même temps que ses voisins, elle se défendrait avec ceux-ci. Israël, en tant que petit pays, nous montre cependant qu'il est tout à fait possible de se défendre seul contre les missiles. Et l'Ukraine se défend de manière remarquable contre l'agresseur russe.

Nous pourrions nous défendre plus efficacement si nous nous étions déjà entraînés avec des pays comme l'Allemagne ou la France.
En théorie, oui. Mais êtes-vous sûr que la France ou l'Allemagne se porteraient effectivement à notre secours? Il ne faut pas se faire d'illusions. Nous ne nous sommes pas non plus fait d'illusions pendant la Seconde guerre mondiale. Nous savions que nous serions submergés en cas d'attaque nazie. Mais nous nous serions repliés dans le Réduit national et aurions opposé une résistance maximale. L'Allemagne nazie aurait dû s'attendre à des pertes considérables si elle avait attaqué la Suisse. Le prix de l'invasion de notre État neutre — réellement neutre — aurait été trop élevé.

Est-ce que vous et votre parti êtes en fait favorables à l'achat de l'avion de combat F-35?
Oui, je le suis. Et je n'ai rien entendu d'autre de la part de l'UDC. Nous avons besoin d'un bouclier de protection pour notre population. C'est un excellent jet. Qu'un autre soit encore meilleur ou pire ici ou là n'a pas d'importance. Il est maintenant urgent de protéger le ciel suisse.

L'achat de cet avion n'est pourtant pleinement cohérent que dans le cadre d'une coopération avec nos partenaires...
Si l'Allemagne possède elle aussi le F-35 et s'entraîne avec le simulateur de vol correspondant, il peut être judicieux que notre armée s'y entraîne aussi, au lieu d'acheter son propre simulateur.

Mais vous ne feriez pas de manœuvres communes avec l'OTAN?
Monsieur Burkart parle de manœuvres de l'OTAN à l'étranger. Qu'est-ce que cela signifie? Pourquoi à l'étranger? Il s'agit de la Suisse que nous devons défendre!

Et détourner le regard lorsqu'un pays comme l'Ukraine est attaqué? Vous êtes contre les sanctions...
Il ne faut pas détourner le regard, mais il ne faut pas perdre la tête non plus. Les sanctions économiques sont une arme de guerre. Depuis que nous y participons, nous sommes en guerre. La Suisse a renoncé à sa neutralité totale et armée. De plus, la participation à ces sanctions ne sert à rien. Ce blocus touche les personnes les plus pauvres en Russie, pas M. Poutine et ses hommes, qui sont responsables de l'attaque contre l'Ukraine, contraire au droit international. Le Conseil fédéral a fait une grosse erreur. La Suisse ne doit pas participer à la guerre en prenant des sanctions, sinon elle y sera entraînée.

Ce n'est pas ce que nous faisons. Nous ne faisons que dire clairement, comme d'autres pays, que nous condamnons cette guerre d'agression. Et qu'il faut s'attendre à des représailles pour celui qui agresse un autre pays.
Cette attaque contre un État indépendant doit être condamnée. Mais le monde entier a perdu confiance dans la neutralité suisse! Certains universitaires peuvent affirmer le contraire pendant longtemps, et les médias peuvent répéter autant qu'ils le veulent que la neutralité est assurée. Mais ce qui compte, c'est l'impact de notre rupture de neutralité dans le monde.

Vous préfériez donc que l'on nous classe parmi les États voyous?
Non! Si nous restons neutres, nous ne serons pas considérés comme un État voyou. Nous ne devons pas y participer, mais nous devons empêcher que notre pays serve d'échappatoire aux sanctions, pour rester neutres.

Cette attitude est mal perçue en Suisse. On a le sentiment que l'UDC se range du côté des Russes.
Les journaux, y compris Blick, veulent donner cette impression. Mais ce n'est pas vrai. Personne à l'UDC n'approuve les actes de guerre de l'armée russe. Ils sont horribles! Des civils sans défense ont été cruellement assassinés. Ils ont été harcelés. Les Etats-Unis devraient en fait intervenir en Ukraine. Mais l'Amérique ne le fait pas, car sinon une guerre mondiale menace. Ce n'est pas une raison pour qu'un petit Etat neutre participe à une guerre.

C'est parce qu'une intervention militaire de l'OTAN n'est pas possible que des sanctions ont été prises...
Et à quoi servent ces sanctions? On affame des gens tout en veillant à ce que les sanctions ne nous nuisent pas? L'UE décide certes de sanctions, mais chaque pays de l'UE en exclut les parties qui lui sont préjudiciables: l'Allemagne veut continuer à se fournir en gaz russe, l'Italie d'approvisionner son industrie de la mode et la Belgique son commerce de diamants. Nous aurions mieux fait de rester neutres, et pour que nous le restions à l'avenir, la neutralité permanente doit être inscrite dans la Constitution!

Vous parlez de votre initiative populaire. Est-ce le moment de la lancer?
Parfaitement. Il est essentiel que nous inscrivions la neutralité totale dans notre Constitution fédérale. Nous avons plusieurs propositions constitutionnelles. Il serait possible d'ajouter un paragraphe à l'article 185 de la Constitution fédérale, qui oblige déjà le Conseil fédéral à préserver l'indépendance, la sécurité et la neutralité. Il faudrait désormais ajouter la phrase suivante: La neutralité suisse est permanente: armée, complète, comme elle l'a toujours été. C'est le minimum qui doit figurer dans la Constitution.

Vous pourriez donc imaginer d'autres ajouts?
Certains pensent qu'il faudrait trouver une formulation qui exclue également la possibilité pour la Suisse de siéger au Conseil de sécurité de l'ONU. Mais il ne faut pas surcharger l'initiative. Bien sûr, l'initiative ne sert plus à rien pour la guerre en Ukraine. Mais pour les guerres à venir, la neutralité doit être garantie.

Pensez-vous vraiment que la majorité de la population votera en faveur de cette modification de la Constitution?
Oui, car la neutralité est importante pour notre population.

Mais ce n'est pas parce que nous l'inscrivons dans la Constitution que nous deviendrons forcément plus neutres. La neutralité doit être reconnue par le droit international. Si demain Pyongyang présente une constitution dans laquelle il est écrit que la Corée du Nord est neutre, cela n'aura guère d'effet.
Oui, mais nous possédons cette tradition. Nous avons la reconnaissance internationale que nous sommes totalement neutres. Et c'est précisément cette réputation que le Conseil fédéral vient de ternir. Avec l'initiative populaire, nous voulons garantir dans la Constitution ce que nous avons toujours eu.

Et quand allez-vous lancer l'initiative?
Comme je l'ai dit, nous sommes en train de finaliser le texte de l'initiative. Nous n'avons pas besoin de lancer quoi que ce soit. Nous approchons maintenant différentes organisations pour savoir si elles souhaitent participer. L'organisation qui a succédé à l'Action pour une suisse indépendante et neutre (ASIN) participera certainement, l'UDC aussi. Ensuite, nous établirons un plan de bataille et nous les lancerons. Mais je peux vous assurer que l'initiative populaire verra le jour!

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