Qui aurait parié sur Liz Truss, au lendemain de la victoire du «Leave» au référendum du 23 juin 2016 sur le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne? Ce jour-là, l’actuelle ministre des Affaires étrangères britannique ne fait pas partie des «brexiters» qui crient victoire au sein du parti conservateur.
Contrairement à son adversaire d’aujourd’hui, l’ancien ministre des Finances Rishi Sunak, Liz Truss a voté «Non» au divorce entre son pays et l’UE. Cette députée «Tory» (conservateur) de la circonscription de Norfolk, au nord de l’Angleterre fait alors partie des «remainers», ceux qui voulaient rester arrimés politiquement au continent.
Donnée gagnante face à Rishi Sunak
Six ans après, changement radical de posture: Liz Truss, donnée gagnante face à Sunak pour la direction du parti conservateur et pour le poste de premier ministre, a choisi comme modèle Margaret Thatcher, qui dirigea le pays d’une main de fer entre 1979 et 1990, en répétant la même exigence à Bruxelles: «I want my money back» (je veux récupérer mon argent).
Ceux qui espèrent un répit dans les escarmouches entre Londres et l’UE peuvent donc ranger leurs drapeaux blancs: c’est avec la ferme volonté de graver le Brexit dans le marbre de l’histoire britannique que Liz Truss arrivera au 10 Downing Street, si les adhérents de son parti lui accordent la victoire. Les résultats du vote, achevé vendredi 2 septembre, seront officialisés ce lundi.
Une élue habile
Thatcher et Johnson. Deux personnalités que Liz Truss aura bien du mal à remplacer en termes de charisme. A 47 ans, cette élue habile, réputée modérée avant de s’engouffrer dans la brèche nationaliste du Brexit, n’a pas de tribu politique derrière elle. Ses détracteurs affirment même que son succès programmé, ce lundi, sera d’abord le résultat d’un non-dit: le refus d’une majorité d’électeurs conservateurs de placer à la tête du pays un chef du gouvernement d’origine indienne, même si le pedigree de Rishi Sunak, 42 ans, pur produit de l’élite britannique, diplômé d’Oxford, le destinait davantage à la fonction de premier ministre. Reste une réalité: la combativité de Liz Truss s’est avérée redoutable.
Fille d'un couple classé à gauche
Ex-militante du parti centriste libéral démocrate (une formation pro-européenne), cette fille d’une infirmière et d’un professeur de mathématiques, tous deux plutôt classés à gauche, a fait de son vocabulaire populaire une arme, et de sa volte-face à propos du Brexit un argument de campagne. Margaret Thatcher incarnait une volonté ultralibérale affichée, pour casser les très puissants syndicats britanniques. Boris Johnson avait l’arme de sa gouaille et de son implacable cynisme.
Liz Truss, elle, a joué avec succès à l’élève besogneuse qui ne s’en laisse pas conter. Elle s'est réinventée jusqu'à devenir la ministre la plus populaire des gouvernements conservateurs successifs depuis 2016. Ses robes ajustées au corps, façon Thatcher, se sont transformées en boucliers. Sa défense de la souveraineté britannique sur la mer d'Irlande, quitte à dénoncer l’accord signé avec l’Union européenne, ont tapé juste.
Plus de show au 10, Downing Street
Pas question, en revanche, d’espérer un show télévisé permanent au 10, Downing Street, comme ce fut le cas avec Thatcher ou Johnson. Ce dernier, surnommé «Bojo», avait fait de son excentricité, de sa nonchalance et de ses formules redoutables contre ses adversaires sa marque de fabrique. «Liz, c’est Boris en beaucoup moins drôle» ironise un journaliste britannique qui la connaît bien. L’idée de voir arriver à la tête du Royaume-Uni une pâle copie de celui qui dirigeait le pays depuis le 24 juillet 2019 risque donc de se confirmer.
Difficile, aussi, de la comparer à Maggie Thatcher. Cette dernière, fille d’épiciers, avait plongé le pays dans une crise sociale sans précédent, avant de se refaire une popularité durant la guerre des Malouines contre l'Argentine. Liz Truss, elle, arrivera au 10 Downing Street dans une situation déjà explosive, sur fond de guerre en Ukraine. Les grèves se multiplient depuis des semaines pour protester contre l’inflation. Les chemins de fer sont particulièrement touchés. Il lui faudra jouer l’apaisement, après avoir surfé sur la colère nationaliste du Brexit.
Plus pugnace que le «bouffon» Johnson
La force de Liz Truss, diplômée elle aussi d’Oxford, mais beaucoup moins brillante que Rishi Sunak dans le maniement des chiffres et des statistiques, est sa capacité à réveiller l’ambition de la classe moyenne britannique, broyée par les six années qui ont suivi le référendum. L’élite du pays la voit comme une première ministre intérimaire, avant une probable victoire des travaillistes aux législatives prévues d’ici 2024. La classe populaire la juge beaucoup moins pugnace que le «bouffon» Johnson, qui s'est rendu deux fois à Kiev pour y redire son soutien au président Zelensky.
Entre deux, en revanche, une clientèle politique lui est acquise: celle des commerçants, des entrepreneurs, des artisans qui demandent avant tout le rétablissement de l’économie anglaise, et des mesures compréhensibles pour tous. Sa victoire, si elle se confirme lundi, marquera la défaite des parrains les plus fortunés du pari conservateur, et aussi celle de la City de Londres qui voyaient d’un bon œil l’accession au pouvoir du richissime Rishi Sunak, dont l’épouse d’origine indienne est l’héritière d’une grande fortune.
Liz Truss, ou la normalité après les excès des années «Bojo», et le terrible calvaire qui fut celui de Theresa May, première ministre de 2016 à 2019, flinguée par Boris Johnson. Rien de brillant. Rien d’exaltant. Juste quelques piques anti-françaises, habituelles outre-atlantique. Terminé le spectacle des dérives de son prédécesseur, contraint au départ par le «partygate» durant la pandémie de Covid 19. Liz Truss, ou l’assurance d’un «boring UK» (Triste Royaume-Uni) ? Une chose est sûre: si tel est le cas, après les convulsions chaotiques de ces dernières années, les partenaires européens de Londres ne s’en plaindront sans doute pas.