«A year in the merde», «1000 years annoying the french», «Liberté, Egalité, get out of my way»… Tous ces livres ont été des best-sellers au Royaume-Uni, où leur auteur, Stephen Clarke, a passé sa vie de journaliste puis d’écrivain à décrire les pires travers des Français à ses compatriotes, de l’autre côté du «channel».
Le voici donc tout à fait désigné pour conseiller un jour celle qui rêve de succéder à Boris Johnson au 10, Downing Street, le siège du premier ministre britannique: Liz Truss, actuellement ministre des Affaires étrangères et candidate à la tête du parti conservateur face à l’ex ministre des Finances d’origine indienne, Rishi Sunak.
En mal d’une cible
Liz Truss était en mal d’une cible. La députée de Norfolk (une ville située au nord de Cambridge, face aux Pays-Bas) sait qu’elle doit faire oublier, pour convaincre ses collègues «Tories» de lui confier les rênes du pays, qu’elle fut au départ «remainer», c’est-à-dire favorable au maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne.
Or quoi de mieux, pour faire oublier son vote «No» à la question «Should the United Kingdom remain a member of the European Union or leave the European Union?» (Le Royaume-Uni doit-il rester membre de l’UE ou la quitter?) du référendum du 23 juin 2016, que de s’en prendre à ce pays que les Anglais adorent détester: la France. Avec, en ligne de mire, l’anglophone Emmanuel Macron dont elle a refusé de dire, jeudi 25 août, s’il est «un ami ou un ennemi» de la Grande-Bretagne…
Un ennemi parfait
Un bon «ennemi», la France? Mieux que cela. Un ennemi parfait. Et ce, depuis qu’un seigneur Français (normand à l’époque), Guillaume le Conquérant, a envahi le territoire britannique et y a été couronné Roi sous le titre de Guillaume 1er après sa victoire de 1066 à la bataille d’Hastings.
Depuis des lustres, les pires clichés sur les Français, ces «mangeurs de grenouilles» (d’où leur surnom populaire, les «frogs») font la plus grande joie et les plus grands tirages de la redoutable presse populaire anglaise. On se souvient des «unes» dévastatrices des tabloïds sur Jacques Delors, l’ancien président de la Commission européenne qui personnalisait à leurs yeux, dans les années 1990, la main mise communautaire sur le Royaume-Uni. «Up Yours Delors!» (Bien profond, Delors) proclama jadis l’un d’eux.
Le modèle Thatcher
Liz Truss peut, en plus, se targuer d’avoir un modèle: Margaret Thatcher, cette cheffe du gouvernement, alias la «Dame de fer», qui dirigea le pays de 1979 à 1990. Ultralibérale et europhobe proclamée, Thatcher s’affronta durement avec Jacques Chirac, alors premier ministre. «Mais qu’est-ce qu’elle veut de plus cette mégère? Mes couilles sur un plateau» s’était un jour exclamé – discrètement – le futur président français lors d’un Conseil européen aux côtés du Chef de l’État de l’époque, François Mitterrand.
Truss-Thatcher: l’imitation est presque parfaite. Y compris sur le plan du climat social puisque le Royaume-Uni est aujourd’hui secoué par des grèves sans précédent depuis de longues années, pour dénoncer l’affaissement du pouvoir d’achat.
Incompétence dénoncée
Et la France dans tout ça? Coté personnel, Liz Truss fait plutôt sourire. Tous ceux qui l’ont côtoyé dans son rôle de négociatrice des accords post-Brexit lèvent les yeux au ciel quand sa compétence est évoquée. Méchant. La presse française voit en elle une pâle copie de Thatcher, qui a surtout ses chances grâce au non-dit racial et raciste qui entoure la candidature du très doué et très riche Rishi Sunak, à qui Boris Johnson ne pardonne pas de l’avoir poussé à la démission.
Car Boris est à la manœuvre, après des vacances ponctuées de fêtes très commentées dans les médias, et une fin de mandat pathétique puisqu’il a été poussé vers la sortie début juillet par le «Party Gate» en raison de son non-respect des règles de confinement durant la pandémie.
Le rôle de Boris Johnson
Or Boris, qui parle très bien français, adore détester la France où vit pourtant son père, ancien eurodéputé qui a choisi ce côté-ci du «channel» pour sa retraite. Ancien correspondant à Bruxelles du «Daily Telegraph», Johnson faisait partie de ceux qui pilonnaient Delors. «La France est son exutoire. Pêche, migrants, sous-marins australiens… Les sujets de conflits s’accumulent entre la France et le Royaume-Uni racontait en 2021 «Le Monde» dans un éditorial. Pour masquer ses propres difficultés, le premier ministre britannique multiplie les attaques contre Paris, ce qui ravit la presse populaire tabloïd de son pays».
Et quel meilleur coupable qu’Emmanuel Macron, ce proeuropéen convaincu qui a toujours dénoncé les mensonges du Brexit? En visite en Algérie, tout sourire, le président Français a d’ailleurs réitéré son amitié aux Britanniques. Cette main tendue, Liz Truss n’en veut pas. Le pays de la «merde» et des «grenouilles» est un bouc émissaire bien trop commode pour celle qui rêve de succéder à un autre francophone: Winston Churchill.