L’Ukraine lutte pour sa liberté. Dans les rues de Kiev, soldats et civils armés s'opposent aux troupes russes de Vladimir Poutine. En Suisse, le gouvernement peine à trouver ses mots et à faire comprendre à l'étranger son interprétation de la fameuse neutralité helvétique.
Le Conseil fédéral lui-même semble s’en être rendu compte. Selon les informations dénichées par nos collègues de Sonntagsblick, il se réunira demain en séance extraordinaire pour décider d'une réaction appropriée et d'une ligne directrice face à l'invasion de l'Ukraine menée par Vladimir Poutine.
La Suisse hésite
Washington et Bruxelles ne cessent de serrer la vis face à l’agresseur. L’Occident a directement sanctionné Vladimir Poutine et son ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov. La Suisse, elle, ne veut pas entendre parler d'un quelconque gel des comptes des oligarques russes. Le Conseil fédéral ne veut pas non plus reprendre les sanctions de l’UE, mais s'il a indiqué vouloir empêcher leur contournement.
Cette attitude, qui a très vite suscité l'incompréhension de la gauche, est en train de faire réagir plus loin à droite de l'échiquier politique. Jeudi, le président du Centre Gerhard Pfister a indiqué que le contournement des sanctions n'était pas suffisant. «Il est important que les sanctions touchent l’élite russe qui finance Poutine, a-t-il déclaré. La Suisse ne doit pas devenir un hub européen pour les affaires de guerre de la Russie.»
Des critiques de toutes parts
Le chef du PLR Thierry Burkart, collègue de parti du ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis , abonde dans le même sens. «La position de la Suisse n’est pas comprise par nos partenaires occidentaux, analyse-t-il. J’espère que le Conseil fédéral réagira dans le bon sens et se ralliera entièrement aux sanctions de l’UE.» Le conseiller aux Etats argovien précise que cela ne constituerait pas une violation du droit suisse ou de sa neutralité.
Une discussion difficile attend donc le gouvernement. Vendredi encore, Ignazio Cassis a clairement indiqué qu’il entendait maintenir son cap et rester en retrait des heurts qui touchent l'Ukraine. A travers ce conflit, il voit manifestement une chance de remettre au centre des projecteurs les bons offices de la Suisse, grâce à une position souple vis-à-vis de la Russie. «Nous réfléchissons déjà à la suite», explique-t-il.
Ignazio Cassis peut-il faire changer d’avis le ministre russe des Affaires étrangères?
Selon toute vraisemblance, le Tessinois a le regard tourné vers le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, qui se réunit lundi à Genève. Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov y est toujours inscrit comme orateur. S’il se rend sur place comme prévu, Ignazio Cassis pourrait bien saisir l'occasion pour aller lui proposer des négociations.
D'ici-là, la réserve de la Suisse reste difficile à faire comprendre. Contrairement à ce qu’affirme le président de la Confédération, la compréhension de l’étranger pour la position de neutralité de la Suisse n'est pas tant établie que ça, comme l’ont fait savoir clairement les représentants des Etats-Unis et de l’UE. Interrogée vendredi, l’ambassade américaine a écrit qu’elle ne commentait pas les discussions diplomatiques, mais qu’elle encourageait la Suisse à se joindre à la réaction commune.
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Les médias internationaux critiquent la Confédération
Petros Mavromichalis, ambassadeur de l’UE à Berne, espère que la Suisse fera preuve de «courage et de détermination» et soutiendra les sanctions de l’UE. La guerre a frappé le continent européen, «et donc aussi la sécurité et la stabilité de la Suisse».
Dans les médias internationaux, les critiques ont été sévères après la décision du Conseil fédéral. «Le comportement de la Suisse ne peut pas être excusé par la neutralité», écrit la «Süddeutsche Zeitung». Le fait que la Suisse, «un point de chute important pour les banques, les investisseurs et les super-riches de Russie», ne reprenne pas entièrement les sanctions de l’UE est «scandaleux».
Le département de Guy Parmelin mal préparé
Ignazio Cassis n’est pas le seul à être sous pression au sein du Conseil fédéral, le ministre de l’Economie Guy Parmelin s’est également attiré jeudi le mécontentement de ses collègues.
Selon plusieurs sources, son département avait mal préparé la réunion de crise. Ainsi, ses collègues du Conseil fédéral n’avaient reçu aucune proposition avant la séance, ce qui a privé le comité de la base nécessaire pour décider de sanctions concrètes. C’est probablement l’une des raisons de la réponse tiède de la Suisse à l’agression russe.
«Le Conseil fédéral n’était tout simplement pas préparé», critique le coprésident du PS, Cédric Wermuth. «Les Américains et les Européens avaient clairement mis en garde contre une invasion. Malgré cela, la Suisse n’était pas prête à réagir de manière adéquate à l'invasion russe», affirme le conseiller national argovien.
Une énième provocation de Ueli Maurer
Le collègue de parti de Guy Parmelin, Ueli Maurer, a quant à lui laissé libre cours à son goût de la provocation lors d’une apparition télévisée jeudi soir, au grand dam de certains de ses collègues. Au jour des premiers coups de feu, celui-ci avait affirmé que la Russie possédait «l'un des meilleurs ministres des Affaires étrangères».
En outre, le Zurichois, qui s’était rendu en Russie durant son année présidentielle, a indiqué que le Conseil fédéral était sujet à une «grande perplexité» au sujet du conflit en Ukraine. On verra dès lundi si Ueli Maurer et ses collègues parviennent à surmonter cette perplexité.
(Adaptation par Thibault Gilgen)