Vous pensiez bien connaître Micheline Calmy-Rey? La Genevoise a marqué les deux dernières décennies de la politique suisse, mais elle a encore des aspects insoupçonnés. «Je me réjouis de pouvoir aller dans le métavers, lance-t-elle sur la scène de Blick, devant un parterre de près de 200 invités bouche bée. Pouvoir vivre dans un monde imaginaire en trois dimensions, c’est super, non? Pour les journalistes aussi, puisque cela améliore le récit. J’aimerais vivre encore assez longtemps encore pour en profiter pleinement!»
À 76 ans, l’ancienne présidente de la Confédération n’a rien perdu de son enthousiasme. Mais qu’elle soit la plus progressiste d’un panel composé de David Lemos, journaliste et voix du football à la RTS, Nathalie Pignard Cheynel, directrice de l’Académie du journalisme et des médias à l’Université de Neuchâtel, et Marc Walder, CEO de Ringier et fondateur de digitalswitzerland, a de quoi étonner.
«On prétendait le marché saturé»
Ces quatre invités prestigieux sont réunis autour de Michel Jeanneret, rédacteur en chef de la version romande de Blick. Le dernier né du groupe Ringier souffle, ce mardi soir à Lausanne, sa première bougie. Avant de se (re)plonger dans l'avenir, l'heure est d'abord aux réjouissances. «Le bébé n’en est déjà plus un, c’est une entité qui grandit, qui s’épanouit et qui nous inspire parfois à Zurich», relève Ladina Heimgartner, CEO du groupe Blick.
La Grisonne est fière de la manière dont ce lancement a été effectué. «Lorsqu’on lance un nouveau secteur d’activité, la base est un business plan solide. Cela n’a pas été le cas pour Blick en Suisse romande. Ce projet, c’est de la passion à l’état pur», a salué la dirigeante. «Tout a commencé un peu par hasard dans l’usine Nespresso à Romont en 2020, s’est souvenu a complété à ses côtés Christian Dorer, rédacteur en chef du groupe Blick. Pendant l’apéro, nous nous sommes dit que ce serait quand même extraordinaire de lancer une version romande de Blick. Après discussion avec mes chefs, il a été clair que c’était maintenant ou jamais.»
Dans un français parfait, les deux dirigeants alémaniques s'autorisent une petite pique: la presse spécialisée ne croyait pas trop au projet, jugeant le marché romand «déjà saturé» au début 2021. Un an plus tard, tous les voyants sont au vert. Mais ce nouveau bateau doit voguer dans une mer agitée.
Qui seront les gagnants de demain?
«Qui seront les gagnants parmi les médias de demain?», interroge Michel Jeanneret, rédacteur en chef de Blick en Suisse romande. Micheline Calmy-Rey, en plus d’être la plus progressiste, est la plus critique. «Les journalistes ont trop tendance à agir en meute, je l’ai vécu lors de mon expérience fédérale.» La Genevoise est revancharde: elle avait évoqué une candidature suisse au Conseil de sécurité de l’ONU, en 2006 déjà. Ce devrait bientôt être la réalité, alors que «MCR» avait été très critiquée à l’époque. «Dans cette optique, les réseaux sociaux sont bénéfiques pour les politiciens: nous pouvons communiquer directement avec le citoyen, sans avoir besoin des médias.»
Dépassés, les journalistes? Les propos de l’ancienne conseillère fédérale trouvent de l’écho dans ceux de David Lemos. Le journaliste de la RTS rappelle que le footballeur espagnol Gerard Piqué, en 2016 déjà, avait affirmé que sa carrière serait exactement la même si les journalistes n’existaient plus. «Et Naomi Osaka, l’une des meilleures joueuses de tennis en ce moment, ne veut plus se rendre en conférence de presse», ajoute le Lausannois.
Des bouleversements qui ne sont pas l’apanage des stars mondiales. Suivre l’équipe de Suisse n’est plus du tout pareil qu’il y a quelques années encore, assure David Lemos. «Nous ne voyageons plus avec les joueurs, nous n’avons aucun contact avec eux hors des conférences de presse, savamment orchestrées et filtrées. Pendant ce temps, l’Association suisse de football produit elle-même son contenu, qu’elle veut exclusif…»
Un mot-clé: la «valeur ajoutée»
La satisfaction du lancement de Blick laisse vite place au blues en même temps que le vent se réveille sur le toit des Jardins-de-Pam, au Flon. «À quoi servons-nous encore, dans ce tableau très noir?», ose Michel Jeanneret. «Nous devons apprendre à travailler avec de nouveaux acteurs, rassure Nathalie Pignard Cheynel. Qu’il s’agisse de spécialistes des données, de graphistes, d’experts ou même d’influenceurs, le journalisme est devenu un métier collaboratif», estime la directrice de l’AJM. Le mot-clé: la valeur ajoutée.
Et la numérisation dans tout cela? Les journalistes entretiennent un rapport d’amour-haine avec les réseaux sociaux, analyse le rédacteur en chef de Blick en Suisse romande: Facebook, Twitter ou Instagram leur offrent de la visibilité, mais siphonnent les revenus des médias. «C’est une question très importante, acquiesce Marc Walder, l’une des figures de proue nationales de la Suisse numérique, à l'heure où les gens sont «inondés de news, mais sous-informés».
Comme l’ont montré plusieurs études, deux tiers des recherches sur Google sont liées à un contenu médiatique, qu’il s’agisse du Servette FC, du Covid ou de Zelensky», relève l’ancien tennisman, puis journaliste reconverti en entrepreneur à succès. «Heureusement, la loi va bientôt nous aider, puisque Google va enfin mettre la main au porte-monnaie. Cette commission sera très importante pour notre secteur d’activité.»
Réalité augmentée, VR et blockchain
Mais pas question de se reposer sur ce nouveau pécule potentiel, aussi substantiel soit-il. Car la technologie pousse le monde médiatique à une perpétuelle mutation. L’avenir? Marc Walder le voit plus immersif. «J’ai déjà de la réalité augmentée dans ma voiture. Et si vous posez la question à des dizaines de millions de jeunes, ils sont déjà habitués, par les jeux vidéos, à la réalité virtuelle (virtual reality). Rajoutez la blockchain et voilà les ingrédients de l’avenir.»
Vous doutez de l’enthousiasme conjoint de Micheline Calmy-Rey et Marc Walder? Le CEO de Ringier appelle à ne pas réitérer les erreurs d’un passé récent: «Souvenez-vous, voici vingt ans, des dirigeants avaient pensé qu’internet disparaîtrait rapidement et que l’iPhone n’allait jamais fonctionner. Ce n’est pas une question de savoir si ces changements vont intervenir, mais quand.»
Et la révolution est déjà en train de se produire. «Vous pouvez visiter aujourd’hui un appartement à Lausanne alors que vous vous trouvez à Bulle ou à Porrentruy. Dans le sport aussi, la rupture aura lieu bientôt, prédit le Zurichois. Posez-vous la question: est-ce que vous préférez vivre la Coupe du monde de foot depuis votre canapé ou à 360° depuis les tribunes, comme si vous étiez assis dans le stade? C’est ce que va bientôt permettre la technologie, et il faut s’en réjouir.»
Danitsa en «guest star»
Le mot de la fin revient à Nathalie Pignard Cheynel, paradoxalement la plus conservatrice du panel. «Quel que soit l’avenir, il faudra l’inscrire dans la durabilité et éviter les choses qui brillent mais se révèlent inutiles», avertit la directrice de l’AJM. Les médias, suisses du moins, n’ont pas les moyens d’investir massivement et de se tromper. Exemples: «Second Life» en 2007 ou les «Google Glasses» en 2012, des innovations présentées comme des capables de bouleverser notre vie de tous les jours, et il n’en a rien été.
Pas le temps de poursuivre immédiatement la discussion: Danitsa monte sur scène pour étrenner son récent titre de meilleure artiste romande remporté aux Swiss Music Awards. La chanteuse aux origines multiples (entre autres le Congo, la Serbie, l’Espagne et le Tchad) représente bien l’assistance. De Daniel Rossellat, président du Paléo Festival et syndic de Nyon, à Christelle Luisier, conseillère d’État vaudoise, en passant par la sprinteuse Sarah Atcho,le hockeyeur Joël Genazzi ou l’humoriste Thomas Wiesel, un parterre très diversifié de personnalités romandes avait fait le déplacement. Que ce premier anniversaire en augure bien d’autres!
Notre rubrique La Fabrick vous plonge dans les coulisses de notre rédaction. Nous y partageons avec vous les réflexions, les réussites, les échecs, et les grandes étapes qui jalonnent la vie de notre média.
Vous y découvrirez notamment:
- La genèse de l'arrivée de Blick en Suisse romande
- La manière dont Blick travaille en toute indépendance
- Notre bilan après un an en Suisse romande
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